Dissertation temporelleLes projets, ce n’est pas c’qui manque. Comme pour beaucoup, ce qui fait cruellement défaut c’est le temps pour les réaliser ! Encore et toujours lui… Autant le temps, notion temporelle, que le temps, celui de la météo, pour qu’il fasse grand beau et qu’autant en emporte le vent…
Mes projets, ce n’est pas une to-do list avec des cases à cocher. C’est plutôt des envies qui évoluent au gré du temps, des rencontres, des opportunités et les projets d’hier sont parfois remplacés par ceux de demain sans n’avoir jamais été réalisés. Mais qu’impote ! Car au finish, le principal est de garder la tête pleine de rêves et quelques disponibilités bien placées !
Toutefois, quel que soit le « projet », il y a quelques incontournables non négociables auquel je ne veux déroger. Celui par exemple de partager l’aventure avec de bons amis, mais également celui de passer par un bel itinéraire. Car le sommet n’est pas le but en soit, ni le vol d’ailleurs (si si je vous assure !). En effet, la rando représente souvent, pour moi, plus de 90% du temps passé sur une sortie, 90% de la longueur mes récits (qui s’allongent chaque fois un peu plus, je vous l’accorde), et peut-être bien 90% du plaisir ! De fait, la façon de rejoindre un sommet rend,
à mon sens, l’aventure encore plus belle. Alors certes, je me retrouve souvent à aller tout là-haut par la voie normale, parce que je n’ai pas toujours l’envie de me compliquer la tâche, parce que je n’ai pas le niveau pour faire beaucoup plus, et surtout parce que, même avec ce faible niveau, je trouve les voies normales très esthétiques ! Et ça me convient bien ! Mais parfois, il faut savoir ne pas se contenter de la VN et lui faire une entorse lorsqu’une occasion se présente, ou que je l’ai insidieusement provoquée…
Rêveries historiques et présentesQuand je grimpais encore un tant soit peu, j’avais repéré en 2018 une voie qui avait l’air sympa au doux nom de Rave Party au Grand Pic de la Lauzière. Cette voie d’escalade correspondait à tout ce que j’aime dans l’escalade : pas trop dure, avec une longue marche d’approche qui donne un caractère sauvage à l’expédition, et la descente se fait par un glacier en face nord ce qui permet de faire une grande boucle et non pas un aller-retour. Et je m’étais déjà dit à l’époque que ça serait cool de faire cette voie et de redescendre en volant. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, ça fait deux ans que je n’ai pas tâté du caillou et encore plus longtemps pour les prises en résine… Et une nouvelle voie a été ouverte le 1er octobre 2021 menant au Grand Pic de la Lauzière intitulée « La Valse des Vautours ».
J’ai eu la langue un peu trop pendue et en ai parlé à l’autre zouave de Bruno avec qui je fais cordée de temps à autre. Je lui ai envoyé le lien, mais juste pour lui passer l’info, hein, pas pour y aller ! ou pour qu’il y aille avec ses copains grimpeurs. « Quoi ? une nouvelle voie ouverte en Maurienne ? » m’a-t-il répondu illico (Bon les tarins dirons que c’est plutôt du côté de chez eux, mais ils ont tendance à tout vouloir s’approprier alors, nous, nous dirons que c’est en Maurienne
). Du coup, il se met en tête d’y aller… et v’là-t-y pas qu’il est persuadé que je vais le suivre !!! Le pire c’est que j’ai presque dit BANCO !!!
Non. En fait, il faut l’avouer, j’y ai mis beaucoup de mauvaise volonté (avec le sourire quand même, peut-être un peu trop pour être prise au sérieux quand j’avais pourtant dit que non, j’irai pô !) et j’ai longtemps essayé de le dissuader d’y aller (« t’es sûr parce que là je vais être ridicule !!!! » « Je ne suis même pas entrainée, je grimpe plus ! » « Tu veux pas y aller l’année prochaine plutôt ? » « Regarde, on pourrait faire cette petite arête qui va vers cet autre sommet en II/III à la place, c’est plus facile ! ça a l’air joli aussi »). Mais que voulez-vous, j’avais moi-même planté la graine de ce projet dans son cerveau, il ne l’a que trop arrosée et elle a germé plus vite que prévu. Et je lui avais dit « c’est ton tour de choisir la sortie pour une fois ». Ma faute donc si nous nous retrouvons à faire les mariolles dans cette sortie qu’on ne peut plus vraiment qualifier de vol « rando » … Enfin pour lui c’était rando ! Moi j’y ai mis aussi un peu les mains, les dents, les genoux et tout ce que je pouvais pour tenter de le suivre …
La Valse des VautoursAu premier temps de la valse, nous sommes seuls, nous sourions déjà à la perspective de cette belle journée en montagne. Il est 8h15 ou 20 quand nous débarquons sous le col de la Madeleine, côté tarentaise. J’ai bien tenté de lui proposer plein d’autres sommets alternatifs plus faciles en route (« oh regarde l’Etendard comme il est beau ! tu veux pas plutôt on fait ça ? ») Grand sourire… ça n’a pas marché… il n’a pas dévié d’un pouce, il la veut sa valse ! Un petit café du thermos avant de se lancer dans cette danse endiablée, et c’est parti ! Monsieur, dans toute sa galanterie me fait porter la corde… Au prétexte qu’il a déjà la quincaillerie dans son sac… Décidément, tout se perd…
Nous attaquons gaiement les 800 et quelques mètres de dénivelé qui nous séparent du pied de la voie, à un rythme correct mais sans trop forcer pour en garder sous le pied pour la suite. Nous sommes rapidement au soleil et suons par cette chaude journée d’automne. Trop habillés, les couches de vêtements tombent une à une. Nous distinguons au loin deux silhouettes que nous rattrapons quelques temps plus tard. Quelle surprise ! c’est Max, avec qui j’avais fait la Pointe de l’Observatoire par la voie Trop Belle pour Toi en 2018, et Jean-Nicolas que Bruno connait de copains communs, ou un truc comme ça. Retrouvailles…
Nous discutons un peu et apprenons qu’ils voulaient aller dans la même voie (nous nous en doutions un peu) mais sont sur le point de renoncer : Max ne se sent pas en forme et ne veut pas se lancer dans un tel projet dans cet état. Ni une ni deux, nous embarquons Jean-Ni, qui n’en revient pas de la chance qu’il a de maintenir son projet qui venait juste de tomber à l’eau ! Il déchantera bien vite en se rendant compte que les deux gugusses avec qui il fait maintenant équipe sont aussi insupportables l’un que l’autre ! Par contre, nous l’avons prévenu, nous, on redescend par la voie des airs alors il sera seul pour le retour. Mais il s’en fiche pas mal alors le binôme devient trinôme et nous ne serons pas trop de trois dans cette affaire ! Nous revoyons le matos et échangeons notre corde simple (que nous confions à Max qui la reposera dans la voiture à la descente) pour la version double de Jean-Ni. Nous portons chacun un brin et Bruno, toujours rien ! L’escroc !
C’est reparti en direction du pilier où démarre la voie, sous une chaleur étouffante, j’explose déjà ! Heureusement, le passage sur le névé me rafraichit un peu les idées.
Une nouvelle voie dans le secteur ? Trop bien ! Tous les vautours du coin semblent s’être donnés rendez-vous pour profiter des dernières belles journées d’automne et du caillou tout neuf. Au départ de la voie, il y a donc déjà une cordée de trois qui est à pied d’œuvre.
Au deuxième temps de la valse, nous sommes deux à compter sur toi, Bruno, pour nous mettre la corde et nous hisser tout là-haut. Nous nous équipons et en avant la musique ! Bruno donne le ton et le tempo, pour lui, c’est de la balade dans cette escalade de niveau modeste. Jean-Nico assure d’assurer pendant que je lézarde au soleil en prenant mollement quelques photos pas toujours bien cadrées. Je suis décidément un escroc à laisser tout le sale boulot à mes compagnons, mais qu’est-ce que c’est bon !
Ça démarre en douceur dans un petit 5b. Quand je regarde le mur raide face à moi, je pâlis un peu. Mais j’essaye de ne pas perdre la face devant mes compagnons… fierté quand tu me tiens… ! Mais lâche-moi de temps en temps bordel… ! Je me demande encore une fois comment Bruno a réussi à me convaincre de venir ici, et ce que je fous là. J’ai mal aux pieds dans mes chaussons, les doigts me piquent sur ce rocher abrasif, et je suis raide comme un piquet, ça promet d’être long…
Mais le caillou est superbe et chaud, la vue est démente et Jean-Nico est un partenaire de choc. Il m’encourage, m’aide, rit poliment à mes conneries. Impossible d’être grognon, alors j’ouvre les vannes du bonheur à fond. J’engage les premiers pas d’escalade. Ça y est, il n’y a plus de retour possible, il faudra sortir par le haut.
Et finalement, « c’est pas si pire » comme on dit… La pression retombe progressivement et le moral repart à la hausse. Après quelques pas trébuchants, certains automatismes reviennent. Les prises sont évidentes, ça déroule bien, ce n’est pas aussi dur que ce que j’avais imaginé. Et si ma grâce et ma souplesse légendaires (hum hum) ne sont pas au rendez-vous, la forme physique permet de les compenser en activant le mode bourrin parfois. Je me mets à apprécier pleinement cette aventure et cette belle journée en montagne.
Deuxième longueur, les difficultés montent d’un cran, 5c. Bruno annonce « Y a une belle Dülfer à faire ». Je prends peur car j’ai horreur de ça ! Mais la Dülfer n’est en réalité pas obligatoire, y a des petits pieds dalleux juste en dessous qui permettent de passer en mode normal sans faire d’acrobaties. L’autre zouave a juste voulu se faire plaisir et crâner… Bon, faut dire que je crois que c’est quand même le passage où j’ai posé le pied sur le point sans vergogne, à moins que ça ne soit la fois où j’ai tiré au clou… où la fois où j’ai chu… ou les trois… ! Bref, c’est passé et en fait, j’ai vibré dans cette belle longueur !