Vous n’étiez pas pressés* ? Tant mieux… Installez-vous confortablement et laissez la magie des glaciers vous emmener loin, très loin, dans un coin reculé de la Très Haute Maurienne…
*Pour ceux qui en ont marre du blabla et veulent le résumé en mouvement et en 3 minutes et 52 secondes c'est en bas du deuxième post!Le jour 3 commence en réalité le jour 2. Revenues de la Belle Plinier, nous sommes attablées à la terrasse d’un resto à bouffer un plat de pâtes pour reconstituer les réserves en vue de la suite. Je lance la discussion :
- Qu’est-ce que tu en penses pour demain ?
- Ben je sais pas, c’est toi qui connais le coin ! répond Valérie en rigolant (Valérie termine toujours ses phrases en riant ou avec un sourire même quand le sujet ne s’y prête pas ! et c’est chouette !)
- Avec ce vent d’ouest, il y a toujours ce sommet dont je t’ai parlé…
tu sais…
- Ah oui… la pointe Francesetti… Par la voie normale, le col de la Disgrâce, c’est ça ? Mais c’est long, non ? (rires)
- Oui un peu, 1500-1600m de dénivelé en tout et 13 bornes… Et je viens d’appeler le refuge, il n’y a pas de places avant dimanche… ! Mais bon avec la COVID et les mesures sanitaires, s’il faut en plus monter le duvet et tout le reste, je ne suis pas sûre que ça soit bien « rentable » d’aller en refuge…. Par contre, ils me disent que les conditions sont excellentes ! Et puis, j’y suis allée en 2017, ça se fait bien à la journée, c’est facile ! Tiens regarde j’avais rentré la sortie sur camptocamp, lui dis-je en lui tendant mon portable.
- Ah oué pas mal ! M’enfin, faut porter les parapentes…. T’es sûre au moins que ça décolle de là-haut ? T’as vu un topo ? Une vidéo ? Quelque chose ? Parce que moi non…. (rires encore)
- Ben euh non… moi non plus… Mais ça doit le faire, y a sûrement d’autres gugusses qui l’ont fait ! Ils ont juste pas partagé les infos, les vilains… « Allez, c’est nous qu’on va écrire le topo ! » J’ai regardé l’enneigement sur les images satellites et j’ai fait plein de simulations de finesse, ça passe large. Et si ça décolle pas du sommet pour une question de vent ou autre, ça doit encore le faire depuis le col de la Disgrâce !
- Bon ok, mais c’est quoi ton idée exactement ? me demande Valérie, sérieusement (quoi alors, on rigole plus ?).
- On va à l’Ecot, on campe là-bas et on part tôt le lendemain ! Je te prête du matos de camping, la tente est assez grande pour nous deux. On décale pas trop tard, sommet, décollage, on pose à l’Ecot et on termine par café-croissants, comme d’hab !
- OK on fait comme ça ! Du coup ça serait quoi, lever 3h ?
- T’es ouf ! t’as vu la galère à la Pointe de Ronce ? 3h, c’est l’heure où faudrait partir si on veut y aller vraiment tranquille et décoller, euh… disons vers 9h… ?
- […]
- […]
- […]
- Oué bon on verra plus tard l’heure du lever, hein !
Trop heureuse, je devrais même écrire trop heureuseS, de cette sortie alpinisme qui s’annonce, avec à la clé, un certainement joli vol, nous achevons notre repas joyeusement.
Après un temps de repos à la maison, nous préparons le matériel. Nouvelle discussion, que faut-il prendre exactement ? Moi qui suit généralement très à cheval sur la sécurité, je ne m’offusque même pas quand nous décidons de ne pas embarquer les baudards, cordes et broches. Dans mon souvenir, la Francesetti, c’est une course peu engagée, les crevasses s’évitent facilement en longeant le glacier sur le flanc. Un peu de légèreté ne nous fera pas de mal… Les affaires bourrées dans la petite voiture de Valou, en avant pour une nouvelle aventure !
En chemin, nous nous arrêtons vers Bessans, les yeux rivés sur le Charbonnel. Aïe aïe aïe, la glace pointe le bout de son nez. Si on veut y aller, va pas falloir tarder…. La glace, ça n’empêche pas d’y aller, c’est sûr, mais c’est quand même vachement moins drôle… Bon, de toutes façons, ce n’est pas pour aujourd’hui et on a dit qu’on attendait Gilles pour ce sommet, donc ça sera peut-être plutôt pour la cuvée Haute Maurienne 2022 !
Nous débarquons à l’Ecot, surprises du peu de voitures présentes. Nous garons la nôtre entre les camions aménagés et les camping-cars et allons voir plus loin sur le chemin qui mène au vallon de Trièves pour repérer un atterrissage potentiel. Dans les prés, l’herbe n’est pas haute mais on ne peut pas dire que ça soit vraiment fauché non plus. En s’alignant sur le chemin, ça sera parfait. Nous retournons ensuite à la voiture pour installer la tente, mettre des vêtements chauds, et préparer les sacs pour qu’il n’y ait plus qu’à les mettre sur le dos le lendemain et partir.
Tiens, ça ne serait pas l’heure de l’apéro par hasard ? Goûtons donc ce fameux génépi fait par Valou, le spécial cuvée Haute Maurienne 2020. Après quelques verres, les vaches qui paissent tranquillement au loin se transforment en bouquetins et ça rigole fort. Il est p’tet’ temps d’aller se coucher…
Finalement, nous avons convenu de l’heure du lever et je règle donc le réveil à 3h00 sur mon téléphone. Valou compte sur moi pour lui secouer les puces. Je cale le téléphone dans le filet de la tente au-dessus de moi et la viande dans le torchon et je m’endors paisiblement.
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Ça fait un moment que je suis réveillée et j’attends sagement dans le noir que le réveil sonne pour m’activer. Je commence à avoir faim, signe qu’il doit être tard… Oui, mais quelle heure ? Je récupère délicatement mon téléphone pour ne pas réveiller ma voisine. Je clique sur le bouton du menu principal et la lumière surgit aveuglante. Le temps de faire le focus et je lis « 04:17 ». Je bloque… Mon cerveau ne comprend pas… Je sais que ce n’est pas la bonne heure, mais pourquoi ? Puis une petite ligne en-dessous vient m’apporter une explication partielle « 03:00 Alarme manquée ». Mon sang ne fait qu’un tour avant de se figer. Merde, je n’ai pas entendu le bzut-bzut du téléphone mais pourquoi ? Mais oui ! La vibration a dû être absorbée par le filet ! Pourtant, je ne mets ja-mais mon téléphone là-haut, pourquoi ai-je fait ça aujourd’hui ???? enfin hier ???? Bon, inutile de chercher le pourquoi du comment, il faut agir vite. Je secoue Valérie :
- Valou, Valou, il est 4h17, j’ai loupé le réveil.
Les boules QUIES doivent faire effet puisque je suis obligée de recommencer plusieurs fois. Elle se réveille enfin et me dit encore à moitié endormie :
- Quoi 4h17 ? Mais comment ?
- J’ai loupé le réveil… (punaise elle comprend rien ou quoi ? Je lui ai déjà dit trois fois !)
- […]
Au moment où je me demande s’il ne faudrait pas penser à un plan B, elle me dit :
- Bon ben maintenant qu’on est là, on y va !
Juste ce qu’il me fallait pour relancer la machine à fond !
4h41, on a bourré la tente, les duvets, tapis de sol et autres en vrac dans la voiture. J’ai avalé quelques tasses de thé du thermos que j’avais préparé la veille et nous sommes prêtes au départ. Toute cette agitation m’a fait oublier ma faim. Nous n’aurons jamais été aussi rapides à nous préparer ! Le voile d’altitude annoncé par les modèles météo ne se présente toujours pas. Le ciel est clair et nous pouvons espérer un bon regel. Les choses s’annoncent plutôt bien finalement… Nous allumons les frontales pour voir où nous mettons les pieds et attaquons la montée, pas au pas de course mais bon train tout de même. Nous nous sentons bien. Tout compte fait, cette heure dix-sept de sommeil supplémentaire nous sera peut-être bénéfique ?
Il ne fait pas vraiment froid et nous faisons une pause rapide pour retirer une ou deux couches de vêtements. Je propose à Valérie de porter ses affaires car mon sac est bien plus léger que le sien et je suis en forme. Un peu gênée, elle accepte mon offre de sherpa sans discuter.
Le jour commence à poindre et à l’est les sommets et crêtes se dessinent sur un fond de bleu plus clair. Nous éteignons nos frontales qui restent vissées sur notre tête par flemme de les ranger. A l’arrivée au col des Evettes, nous faisons une pause obligatoire pour admirer les glaciers et les sommets dont seules certaines cimes arborent une couleur jaune orangée dans le soleil levant. Que de beauté dans ce lieu magique. Valérie mange un bout pour se requinquer et manque de s’étouffer avec une barre Golden Grahams ce qui met fin à l’aspect contemplatif du moment et remet de l’animation dans la cordée (sans corde). Je sirote une pomme pot’ qu’elle m’a gracieusement offerte en tentant de ne pas m’étouffer à mon tour.
Nous repartons en direction du pont Romain qui se trouve un peu plus bas et permet d’accéder à la rive droite du cours d’eau. Et c’est reparti pour une nouvelle séance photos sur le pont ! A ce rythme, nous n’arriverons jamais au sommet ! Mais qu’importe, en cet instant, seul le plaisir des yeux compte.
Un peu plus loin, au panneau directionnel « Lac du Grand Méan », nous bifurquons à gauche et suivons les cairns dans un sentier un peu plus raide que ce que nous avons connu jusqu’à présent. Valérie qui n’est venue qu’en hiver ne reconnait pas les lieux puisque la trace de ski de randonnée passe beaucoup plus bas. Elle doute un peu de mon sens de l’orientation. A chaque tournant ou ressaut, je lui dis que le lac n’est plus très loin et alors gare à ses yeux car elle en sera éblouie ! Et lorsqu’après avoir marché longtemps sur la moraine, nous débouchons enfin sur le lac glaciaire, elle est stupéfaite par la beauté du paysage. Le glacier semble suspendu au-dessus de son lac, le tout dominé par le Mont Séti, les rayons du soleil qui viennent nous réchauffer… les mots nous abandonnent pour exprimer ce que nous ressentons alors. Il n’y a personne. Nous sommes seules à profiter de cet instant magique. Et nous ne nous en sommes pas privées !
Le vent qui descend des glaciers est frais. Nous ne voulons pas nous refroidir en nous attardant ici mais j’ai une faim tenace. Nous nous posons donc quelques instants sur les rives du lac pour manger les baguettes briochées que j’ai blindé de chocolat. Il était temps ! Nous remettons ensuite nos sacs sur le dos et en avant !
Pour rejoindre le glacier, je sais qu’il faut passer à droite du lac dont les eaux se déversent en cascade. Nous avons le choix entre passer sur une maigre bande glacée qui menace de se rompre sous notre poids, aussi léger soit-il, et passer un premier bras de rivière à coup de saute-cailloux puis prendre une sorte de gué instable pour rejoindre l’autre rive. Le passage ne semble pas si aisé et je n’ai aucun souvenir de notre choix lors de ma sortie en 2017. Mais nous étions alors fin juin et la fonte des neiges n’était peut-être pas autant avancée… ? Il y avait soit moins d’eau, soit le lac était plus enneigé/gelé… Le passage avait dû être plus simple. Nous faisons le choix de la deuxième option et avec l’aide des bâtons et de mains tendues entre nous, nous parvenons enfin de l’autre côté. Ce passage seul nous aura demandé plus d’énergie que la première partie de la randonnée !
Nous chaussons alors enfin les crampons, le moment que je préfère. Au premier pas sur le glacier, je suis en extase. J’avais oublié ce doux bruit du métal contre la neige dure. Ça fait un shcrounch-schrounch régulier et apaisant.
Nous récitons le topo appris la veille : il faut rejoindre le col de la Disgrâce en longeant le glacier par la gauche. Nouvelle pause photos avec pour fond, le Mont Séti et le lac en contre bas.
Ça papote, ça papote. Nous avançons en restant à distance l’une de l’autre, vigilantes tout de même car les crevasses commencent à se deviner. Nous passons à côté d’une un peu plus ouverte que les autres. Ça glougloute fort en dessous mais le ventre affamé du glacier ne se repaîtra pas de deux parapentistes aujourd’hui !
Plus nous avançons et plus je trouve cet itinéraire étrange. Je ne me souviens pas que ce glacier soit si large et la pointe qu’on voit au loin ne dit rien à Valou. Petit coup d’œil à géoportail et peakfinder qui nous confirment que nous sommes beaucoup trop à gauche et plutôt en direction de la pointe du Grand Méan que de la Francesetti !!! A force de papoter nous nous sommes trop écartées. Nous rectifions le tir en passant par une zone de rochers qui, fonte glaciaire oblige, n’apparait pas sur la carte. IGN va avoir du boulot d’ici les prochaines années pour cartographier tout ça !
Nous rejoignons enfin le col de la Disgrâce à 3232m d’altitude sans difficultés et toujours en discutant. Versant italien, il y a un paquet de nuages, tant pis pour la vue…
Nous déchaussons les crampons, il nous reste environ 200m de dénivelé dans un amas de cailloux. Il faut alors jouer à trouver le prochain cairn. Mais allez trouver un tas de cailloux dans un tas de cailloux, vous ! Et bien ce n’est pas si facile ! En allant au cheminement le plus évident nous réussissons néanmoins à rester plus ou moins sur la trace. Arrivées en vue du sommet, il nous faut rechausser les crampons pour passer quelques névés un peu durs, puis re de la caillasse et c’est enfin plié !
Ça y est, nous y sommes ! Au sommet de la Francesetti, 3425m ! Bizarrement, il n’y a pas d’euphorie. Nous sommes certes bien contentes d’y être mais pas d’extase, ni de séance photos à gogo. Notre esprit est déjà tourné vers la suite. Le côté italien est toujours aussi nuageux mais toutefois, quelques éclaircies permettent d’observer les magnifiques vallons en contrebas. Les nuages semblent vouloir se cantonner sur ce versant ce qui nous laisse une visibilité claire côté français. Le soleil cogne fort, il est un peu plus de 10h. De temps en temps, une bouffe de vent de face vient nous rafraichir. Le reste du temps, c’est le calme plat. Les conditions sont idéales et le vent en bas dans la vallée ne devrait pas avoir commencé à décorner les
bouquetins vaches qui y trainent… Allons nous préparer !
Pourquoi nous sommes nous obstinées à vouloir étaler les voiles au sommet sur les cailloux ? Cela restera un mystère ! Après un bon quart d’heure d’acharnement pour démêler des suspentes qui ne font que s’emmêler aussitôt et avoir maugréé contre ce tas de caillasse idéal pour couper les suspentes en phase de décollage, nous redescendons sur le névé 20m plus bas, la voile en boule. C’était bien la peine... Là au moins, pas de problème de cailloux mais c’est une tout autre gymnastique que d’installer la voile sur cette patinoire sans les crampons que nous avions retiré au sommet. Décidément, nous sommes un peu gourdes ! Nous devons ressembler à deux clowns disgracieux en équilibre sur un fil imaginaire et qui tentent de ne pas tomber. Heureusement qu’il n’y a pas de spectateur pour assister à notre petit numéro ! La neige est tellement dure que je ne peux même pas en faire de boule pour caler la voile et éviter qu’elle ne glisse. Je la laisse donc plus ou moins étalée mais avec les suspentes bien démêlées et descends m’installer dans la sellette. Je prie intérieurement pour qu’aucune bouffe de vent de cul ne rabatte mon bout de chiffon.
Gnnnh – ouf – zouipe – ah zut – grrr… Après bien des efforts et quelques jurons, je suis enfin dans la sellette, les commandes dans les mains. Valérie s’est aussi installée. Mais oh malheur, ses oreilles se sont repliées ! Nous attendons les bouffes de face, comme celles qui sont venues tout à l’heure alors que les parapentes étaient encore dans les sacs, et qui rouvriront son aile. Cinq minutes plus tard, toujours pas un pet d’air et rendons-nous à l’évidence, il est peu probable qu’il y en ait d’autres dans les minutes à venir. Nous sommes en nage sous ce cagnard. Et la neige qui veut pas ramollir … Finalement, je me décide, sors de ma sellette pour aller remettre en place la voile de Valérie qui s’écrit :
- Oh mais non fallait pas !
- Discute pas ! moi, la skin, s’il faut, même en boule elle décolle, enfin, façon de parler. Au moins, comme ça t’es prête au déco !
- T’es trop mignone ! Merci merci !
Bon voilà, ça, c’est fait. Mais maintenant il faut que je rejoigne ma propre voile et que je me réinstalle. Je m’assieds sur la neige pour enfiler le string et tant pis si j’ai les fesses mouillées. Je peste contre ma sellette emmêlée pendant que Valérie attend patiemment. Pour la deuxième fois, je suis prête et je prie pour que la formule « jamais deux sans trois » ne s’applique pas aujourd’hui.