Qu’il est difficile de vous conter les aventures du jour 1 et 2 tant les souvenirs du jour 3 viennent écraser toutes nos aventures antérieures ! Sans mentionner les nombreux autres vols et sorties qui se sont déroulés depuis et que je ne prendrai pas le temps d’écrire… Je vais néanmoins essayer de vous faire part de ces deux journées, en essayant de ne rien oublier en m’aidant des photos et vidéos.
En 2020, les Haut-Savoyards, Gilles et Valérie, avaient fait une incursion en Maurienne. L’affaire avait été plutôt concluante et le fin mot de l’histoire était : « La Maurienne, c’est beau mais qu’est-ce que ça souffle ! On reviendra ! ». A l’été 2021, Gilles a la mauvaise idée de prendre ses vacances quand il pleut ou qu’il y a trop de vent. Valérie, en revanche, a un agenda plus souple (comprenez « elle a trop de vacances ! »). De mon côté, j’ai très envie de voler, voir du pays, autre que ma vallée, mais je n’ai pas envie faire beaucoup de route. Finalement, je me résigne à rester sur place et propose à Valérie, alias Valou, de venir chez moi. Elle accepte et nous voilà parties pour trois jours de vol rando en Haute Maurienne, pour la cuvée 2021 !
Dans les plans, nous éliminons d’office le Charbonnel et l’Albaron. Si nous y allons sans Gilles, ça sera l’incident diplomatique entre la Savoie et la Yaute… et je crois que nous n’avons pas besoin de rajouter cela à la longue liste des différents et griefs qui perdurent entre nos deux nations
Ces sommets mis à part, le champ des possibilités reste énorme. Ni Valérie ni moi n’aimons prendre de décision et Gilles n’étant pas là pour trancher, je sens que, comme je joue à domicile, le choix va me revenir. Alors je prends les choses en main, et au vu du faible nord-ouest en altitude affiché par les modèles météo, j’annonce la Pointe de Ronce !
Reste le choix de l’itinéraire... J’ai déjà fait la traversée Signal – Ronce – Lamet au départ du lac, en face sud jusqu’au col du Lou puis par les crêtes. C’est de la marche sur des vires exposées et parfois il faut poser un peu les mains, surtout au départ du Signal, une chouette balade en somme. Mais j’ai plutôt envie de tâter de la glace et je propose donc de passer par l’itinéraire d’hiver qui commence par une longue traversée sur les flancs nord de ces montagnes. Valérie me demande si les conditions en glace sont bonnes mais je n’en ai aucune idée. Elle semble douter, moi pas : comme j’ai tellement envie d’y aller et que je suis confiante sur le fait que ça sera super cool, même s’il faut galérer un peu, je suis prête à prendre le risque.
Nous voilà au départ, aux alentours de 6h du matin, garées sous le col du Mont Cenis, une voiture ayant été préalablement déposée à l’atterrissage officiel de Lanslevillard. Nous attaquons la randonnée au jour levant. Et la traversée est telle qu’attendue. Très longue. Sans grand dénivelé. Elle pourrait alors être monotone et ennuyeuse si la vue n’était pas aussi époustouflante. Les glaciers de la Vanoise au loin sont parés d’une lumière rose et chapeautés de quelques nuages. Rien que pour admirer ce spectacle, je serai capable de me lever chaque jour, tôt, et marcher, longtemps.
Il doit bien y avoir 4 kilomètres de distance sur lesquels le dénivelé positif n’est que de 200m. Sachant que la randonnée en fait 1600 au total, le reste s’annonce raide. Néanmoins, ce long faux plat permet de dérouiller un peu les jambes. Au passage, je note le nuage qui descend du col du Mont Cenis. « Et merde, de la Lombarde…, manquait plus que ça… C’était pas prévu… J’espère que ça va pas tout foutre en l’air… » M’enfin, vu que le nuage avance doucement et ne dégueule pas littéralement du col, je me rassure en me disant qu’avec un peu de soleil, tout va se tasser et rentrer dans l’ordre. Ne nous arrêtons donc pas en si bon chemin !
Nous arrivons à Côte Plane, altitude 2236m, arrivée du télésiège. Un sentier cairné monte en zigzagant vers notre but sommital, plutôt efficace et pas trop fatigant. Le rythme est correct et nous continuons de papoter tout en montant. L’itinéraire, bien décrit sur Camptocamp, est plutôt évident sur le terrain, nous retrouvons tous les éléments qui y sont mentionnés : les barres rocheuses et les rochers de la Cailla sont en vue, c’est plutôt rassurant. Nous les atteignons et les dépassons rapidement, découvrant enfin la vue sur la Pointe de Ronce et les différents glaciers (Arcelle, Arcelle Neuve et Signal) qui y mènent. Nous sommes loin d’être arrivées… !
Plus nous avançons et plus les névés se font larges. Mais également plus épais et parfois moins portants. Nous sommes aux alentours de 3000m d’altitude et il semble qu’il n’y ait eu aucun regel cette nuit. Je m’enfonce parfois jusqu’à la taille ! La progression dans ce terrain incertain devient alors vraiment pénible. Je commence à me poser des questions sur ce glacier que l’on voit au loin et à regretter de ne pas avoir pris un brin de corde avec nous. Avec ce faible regel, ça pourrait être bien piégeux. Nous partageons les mêmes doutes avec Valérie et après une courte discussion, nous changeons de tactique. Il y a une brèche plus haut, sous le signal du Grand Mont Cenis au niveau de la crête qui mène à la Ronce et que nous pouvons atteindre « facilement » en longeant le glacier du signal dépérissant par la droite dans une zone où nous sommes sûres d’éviter les crevasses. Depuis cette brèche, il nous suffira de prendre la crête en cailloux jusqu’à la pointe de Ronce dont l’altitude est de 3612m.
Le temps de faire tout ça, de s’enfoncer encore deux-trois fois dans la neige avant de trouver un terrain plus porteur, il est déjà tard et les nuages sont nettement plus nombreux dans le décor... Notre objectif sommital est également dans les nuages. D’ailleurs certains vont dans un sens, et les autres dans le sens contraire… aérologie… pourrie ? … Il est temps de faire le point. Deux options se présentent à nous. Soit nous nous arrêtons là pour assurer le vol, mais alors pas de sommet et il faudra gérer notre problème d’égo vis-à-vis de cet « échec », soit nous continuons et alors il nous faudra aller jusqu’au sommet pour décoller car il n’y a pas de possibilité intermédiaire sur la crête. Et, en revanche, si nous ne pouvons décoller du sommet pour des raisons météo, du temps que nous redescendions vers le spot actuel pour décoller, la brise risque d’être trop forte en bas dans la vallée… Nous sommes à un peu plus de 3300m sous le Signal du Grand Mont Cenis et je doute. Je n’ai pas envie de nous priver d’un vol du sommet mais en même temps, si ça ne le fait pas et que nous redescendons à pied, je vais m’en vouloir à mort... Que faire ?
Valérie est moins sage, ou plus optimiste que moi. Elle est prête à continuer mais se range finalement à mon avis. Car c’est décidé, ou plutôt j’ai décidé, il faut assurer le vol et tant pis pour le sommet, il faudra mieux évaluer les distances et le dénivelé et prendre en compte l’aléa « qualité de l’enneigement » pour les prochaines sorties. Valérie me propose un nom pour cette sortie et transformer le but en réussite : Echec à la Pointe de Ronce, Réussite au Signal ! Quelle « positive attitude ! », c’est adopté !
Et puis, regardons les choses autrement ! Le lieu n’est pas si mal pour décoller : le décor est pas dégueu, le vent est face ou c’est du rouleau mais comme c’est faible, peu importe. Enfin, la pente reste acceptable pour installer les voiles sans qu’elles ne glissent constamment. Seule interrogation, la neige portera-t-elle pendant la course d’élan où va-t-on rester prises au piège ?
Je cale la voile avec des boules de neige et range le matos dans le sac. Le piolet et les crampons n’aurons servi à rien d’autre qu’à alourdir nos sacs mais tant pis, c’est le jeu ! Nous sommes enfin toutes les deux installées et comme je suis un peu plus bas que Valou, je lui indique que je pars en premier.
Comme d’habitude, je décolle sans soucis avec la SKIN. Je me retourne pour voir Valérie au sol, dont la silhouette s’éloigne à mesure que j’avance. Elle est perdue dans un océan de blanc orangé, reliquats des apports sableux du Sahara lors de l’épisode de sirocco l’hiver dernier. Je me concentre sur mon vol et m’éloigne progressivement du relief. J’admire les vestiges de ces glaciers dont la vie risque d’être fortement écourtée dans les prochaines années. La zone en glace vive attire forcément l’œil, tache de bleu entre le blanc de la neige et le gris poli de la roche. Elle était certes déjà bien visible d’en bas, mais la survoler nous offre une autre perspective et de nouveaux détails apparaissent au fur et à mesure que j’avance. Le vert des prairies alpines puis des forêts de conifères succède au gris. Quelques taches de bleu par-ci par-là indiquent la présence de lacs.
Arrivée en milieu de vallée, je tourne la tête. Sur la gauche, la Dent Parrachée et les glaciers de la Vanoise sont pris dans les nuages. Qu’on est mieux ici ! Face à moi, des pentes herbeuses et accueillantes me remémorent mon premier vol avec une SKIN, à l’été 2018. A droite, Bessans et ses grands plateaux. Je souris en repensant à notre vol l’an passé là-bas, à la Pointe de Tierce avec Gilles et Valérie. Sous moi, la route menant à ce même village par le col de la Madeleine forme un long serpentin de virages, et qui, l’hiver, me semblent toujours interminables quand nous montons là-haut faire du ski de fond.
L’atterrissage est là, plus vite que prévu. Et je n’ai pas besoin de manche à air pour me rendre compte qu’en bas, la lombarde souffle ! Dans un sens, ça bombarde, de l’autre, je n’avance guère plus. Les champs fauchés sont tellement grands et nombreux que, si cette fois j’atterris dans celui qui ne l’est pas, c’est décidé, j’arrête le parapente ! Il y a trop d’enjeu alors je m’applique et pose dans le champ fauché, celui qui est juste au-dessus de la voiture.
Valérie me rejoint une quinzaine de minutes plus tard, souriante comme toujours. Tout là-haut, le glacier de l’Arcelle Neuve est étincelant au soleil mais le ciel est aussi chargé de cumulus. La pointe de Ronce, se couvre et se découvre très vite. Difficile de dire si nous avons eu raison d’abandonner le sommet ou si nous aurions dû persévérer. L’aérologie du jour me semble complexe. Qu’importe, le vol est validé, c’est une réussite au Signal !
Une petite vidéo ? Elle est là :
https://youtu.be/J4QKHIpoilcou là :
http://www.youtube.com/watch?v=J4QKHIpoilcMais dans cette affaire, il faut dire que nous sommes un peu frustrées de ne pas avoir vu le lac du Mont Cenis. Alors après avoir plié les parapentes et bu un café au bar où nous nous étions arrêtées il y a un an presque jour pour jour, nous remontons en emportant un picnic pour déjeuner là-haut. Après une courte pause pour se restaurer, nous ressortons les voiles pour nous amuser dans le vent.
Puis nous retournons à la voiture laissée 150m plus haut. Nous mettrons quasiment autant de temps que pour parcourir les 1300m que nous avons fait le matin, nous arrêtant à chaque pas dans ce paradis fleuri pour prendre des photos, apprendre de nouveaux noms de fleurs et profiter encore et encore de cette belle journée, espérant qu’elle ne termine jamais…
Avec Valérie, nous faisons un travail d'équipe, elle mitraille avec son appareil photo et moi je laisse tourner la gopro pour immortaliser nos échappées sauvages! Vivement la prochaine!