Un sommet qui a la cote à en juger par le nombre de fils qui lui sont dédiés ! Encore un long récit, la vidéo dans le deuxième post!
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Je regardais la météo depuis le lundi 8h du matin, tankée devant mon PC au boulot, désespérant que la semaine se termine et qu’enfin le week-end arrive, apportant son lot d’aventures. Tous les onglets météo ouverts sur le navigateur (metoffice, météociel, MP, vélivole, etc.) et un petit coup de F5 tous les 3-4 heures pour rafraîchir les infos et continuer de rêver devant ces prévisions alléchantes.
Mercredi, je ne tiens plus en place. J’envoie des messages aux copains en proposant l’Albaron pour le samedi matin. Gilles me répond qu’il est en déplacement dans un plat pays où il y cherche le dénivelé et mange comme un goret. Il tergiverse un peu, ce qui est plutôt contraire à son habitude… Il me vante le bon goût des frites et la beauté des terrils qui l’entourent. Derrière ce discours angélique, j’entrevois aussi l’amertume de certains breuvages… mais aussi celle de son choix quand il me dit que ça va faire trop court pour lui et qu’il déclare forfait. Déception... Valou se pose des questions existentielles sur l’orientation du déco de l’Albaron (« t’es sûre que ça décolle sud-ouest ? » « Mais oué, allez viens !!!! ») et fait une contre-proposition, le Dôme des Glaciers, clairement orienté SW, pile-poil comme il faut d’après les prévisions. Je regarde sur gogole maps les accès depuis la maison. Punaise, mais c’est le bout du monde !!! (la maison ou le dôme ? à vous de voir) Il faut compter au moins 2h de route voire plus…. A mon tour de tergiverser… Une bataille acharnée s’engage alors entre nous, chacune campant sur ses positions, pour savoir si ça sera direction l’Albaron ou le Dôme des Glaciers. Car dans tous les cas, c’est sûr, nous sortons les voiles et les crampons ! Devant ses arguments (« je suis déjà venue en Maurienne », « Gilles ne peut pas venir alors on va pas aller à l’Albaron sans lui », « c’est trop beau le Dôme »), je cède, tout de même contente de découvrir de nouveaux horizons…
Je débauche Sylvain, qui est partant pour une nouvelle aventure. Petit check matos avant de partir. Il a sorti ses dégaines des années 80 roses et jaunes fluo alors forcément je me marre comme une baleine. Heureusement, le baudrier qu’il a ressorti de ses placards a l’air plus récent et je lui prête des crampons quasi neufs. Nous limitons ainsi la casse en termes de style vestimentaire (il a quand même sorti le T-Shirt vert fluo pour la marche d’approche). Pour ce qui est du style alpin, nous verrons ça sur le terrain…
Gilles, qui a pourtant fait cette sortie il y a moins de deux mois, n’entend pas être laissé sur le banc de touche et enfonce l’accélérateur de sa bagnole pour nous rejoindre. Si pas de place au refuge, il propose de monter à pied depuis le bas samedi matin et de nous rejoindre en chemin. Pour un mec qui avait déclaré forfait 24 heures auparavant et ne voulait pas de sortie crampons/piolet, je le trouve plutôt motivé ! J’appelle le refuge pour lui trouver une place. Ils acceptent le quatrième.
Je pose un demi-RTT et nous partons avec Sylvain vendredi midi. Nous rejoignons Valérie à Albertville pour finir la route ensemble. Tout en admirant le barrage de Roselend, nous achevons de nous décider pour l’itinéraire. Finalement, ça sera par la voie normale plutôt que par l’arête des Lanchettes qui nous faisait pourtant de l’œil. Mais nous préférons aller au plus simple et assurer le vol, d’autant que le glacier est encore en bonnes conditions. Les dégaines roses et jaunes resteront dans le coffre, quel dommage ! Nous manquerons une occasion de nous moquer de Sylvain une fois de plus.
L’été, la route est fermée entre les Chapieux et le parking des Lanchettes (départ de la randonnée) afin de limiter le trafic. Des navettes assurent des rotations pour véhiculer les promeneurs. Celle que nous prenons est rose bonbon et ne fait que 50% du chemin en s’arrêtant à Ville des Glaciers. Celle qui monte jusqu’aux Lanchettes part plus tard mais nous risquerions alors de louper la soupe au refuge, pas question !
Nous montons à la cool, d’abord par la route puis par les sentiers. Nous nous sentons tous un peu mous, après avoir passé plus de 2h dans la voiture sans trop bouger. Sylvain que rien n’arrête (ou presque) voudrait bien sortir la voile et monter en soaring jusqu’au refuge. Ni Valérie ni moi ne sommes vraiment convaincues et Sylvain se range à notre avis, bien heureux dix minutes plus tard quand nous sentons le vent dévaler les pentes du versant sur lequel nous montons ! En chemin, nous admirons le Mont Tondu, duquel de gros blocs se détachent pour dégringoler en face est, ça parpine sec...
Plus au sud, je regarde rêveuse les sommets qui émergent au premier plan et notamment le Mont Pourri, d’où nous décollerons peut-être un jour (avec autorisation spéciale du Parc bien sûr !). Et puis je bloque : mais… mais c’est la « maison » qu’on voit là-bas !!! La Pointe Charbonnel se découpe au loin dans le paysage, toute seule. Elle est tout simplement magnifique et parait encore plus belle vue d’ici ! On y va, on y va, on y va ?
Nous arrivons enfin au refuge Robert Blanc à 2750m d’altitude perché au milieu des cailloux, après 2h de marche.
Un quart d’heure plus tard, nous sommes changés avec des vêtements chauds et spéculons sur l’heure d’arrivée de Gilles au refuge quand nous voyons sa tête apparaître au-dessus des marches. Il a dû cavaler à la montée, nous ne l’attendions pas avant au moins 1h voire plus ! Mais c’était sans compter sur la promesse d’un apéro bien mérité et d’un repas partagé entre amis. Sûr que ça motive ! Et quand le gardien voit que le quatrième du groupe n’est autre que ce farfelu volant venu il y a deux mois pour décoller du Dôme des Glaciers, il lui dit « Encore toi ! » Il semblerait que Gilles lui ait laissé un souvenir impérissable, comme à tous ceux qui croisent son chemin ! La troupe est désormais au complet. Nous célébrons nos retrouvailles en buvant une bière en terrasse en admirant le coq parader devant nous et le soleil se coucher derrière le Tondu.
L’heure du souper arrive vite et nous nous attablons avec un guide, Gilles de Peisey-Nancroix, un gars fort sympathique au regard pétillant et l’air rieur, et ses deux clients. Au menu, entrée composée d’une soupe veloutée au bon goût de petit pois et de menthe (miam !) tome et croûtons à foison, en plat de résistance, de succulentes lasagnes végétariennes gratinées, puis en dessert un biscuit nappé d’une mousse de lait et surmonté d’une cuillérée de glace vanille parsemée de miettes de biscuit croquant. Quel service ! Nous nous sentons accueillis comme des rois et mangeons de bon cœur.
Le gardien apporte ensuite les liqueurs. Nous avons le choix entre la classique poire, un cocktail orange-café, et une surprenante liqueur d’orties. Initialement rétissante (la veille d’une course, j’essaye de limiter ma consommation d’alcool), je me laisse finalement tenter par la liqueur d’orties. Tout comme les liserons, j’en ai à ne plus savoir qu’en faire dans mon jardin, alors autant, si c’est bon, je vais leur trouver une utilité dès mon retour ! Et ben croyez-le ou non, c’est plutôt pas mal, même plutôt bon ! Un goût très doux et inattendu pour cette plante urticante. Je sirote mon petit verre tout en discutant avec le guide et admirant le lever de lune. Résultat, j’en oublie de demander la recette de la liqueur au gardien ! Tant pis, je ferai des expérimentations sur le terrain directement, ou je demanderai à mon ami gogole... A moins qu’une bonne âme parmi vous ne connaisse une bonne recette ?
Avant d’aller nous coucher, nous jetons un coup d’œil aux prévisions du lendemain. Horreur, toutes les météos annoncent beaucoup plus de vent que ce qu’elles ne prévoyaient quelques jours auparavant…. Environ 30km/h, voire plus… ça nous met un coup au moral alors nous préférons éteindre nos téléphones. La meilleure météo, c’est la météo intérieure : motivés et heureux de partager un moment en montagne ensemble, il n’y a que ça qui compte !
La nuit sera longue ou courte, c’est selon…. Longue parce que tenter de dormir en altitude (ici le refuge est à 2750m) avant une course (toujours un peu de stress pour ma part surtout quand je ne connais pas) et en écoutant la forte respiration de la voisine d’à côté (vous avez deviné qui ?) c’est loin d’être gagné. Courte parce que le lever à 4h du mat’, ça pique toujours un peu, même quand on l’a attendu un moment, étendu dans le noir. Finalement, j’aurai bien écouté la respiration de la voisine plus longtemps, moi
!
Le réveil sonne enfin et chacun de nous s’affaire à ranger sa couchette et à vérifier qu’il n’oublie rien derrière, en silence pour ne pas déranger les voisins de chambre qui ne se lèvent qu’une heure plus tard. Nous prenons un petit déjeuner animé, seuls dans la grande salle à manger. Les blagues ne prennent pas de repos et ça chambre dès 4h du mat’. Sylvain nous farcit avec ses proverbes marins tels que « Quand le Goéland se gratte le gland, c'est qu'il va faire mauvais temps » ou encore « Quand il se gratte le cul, c'est qu'il ne fera pas beau non plus ». Et j’en passe et des meilleurs !
Nous retrouvons nos sacs laissés à l’entrée du refuge. Je sors pour prendre la température : il fait bon et il n’y a pas un souffle, que du bonheur ! La lune, pleine cette nuit et qui a éclairé les parois de notre chambre comme en plein jour, vient juste de se coucher derrière les massifs, nous laissant dans le noir absolu. J’enlève la doudoune que je fourre dans mon sac. 4h45, l’assaut est lancé.
Nous nous fions au sens de l’orientation de Gilles et Sylvain et aux cairns disposés de ci de là pour trouver l’itinéraire à la lumière de nos frontales – sauf Gilles qui, dans la précipitation de son départ, a oublié la sienne chez lui. Plus bas, nous devinons deux points lumineux qui semblent monter depuis le parking des Lanchettes dans notre direction, nous ne serons donc pas seuls mais ça ne sera pas non plus la foule des grands jours. D’ailleurs, les deux points lumineux iront jusqu’au sommet de l’aiguille, donc nous serons vraiment seuls au Dôme ! D’après le topo, il faut descendre de 80m mais ça m’a paru tellement long que j’ai commencé à douter de nos guides.
A posteriori, c’était en réalité 110m de dénivelé que nous avons redescendus. Mais enfin, le sentier repart vers le haut.
Nous croisons une langue de neige. Le premier constat est plutôt positif, le regel est excellent. Malgré notre proposition de nous équiper ici, les deux gars têtus (le combo ultime : un mauriennais-breton et un haut-savoyard pure souche, vous voyez un peu le topo ?) semblent penser que les crampons sont mieux dans les sacs sur notre dos qu’à nos pieds et nous avançons en grosses sur cette neige dure pour nous arrêter 100m plus loin sur des cailloux. Finalement, nous allons chausser les crampons ! Pffff…. Petite pause pour sortir le piolet, le baudrier et les crampons. Le sac paraît beaucoup plus léger, vidé de toute cette quincaillerie !
Les gars s’entêtent de nouveau et ne veulent pas s’encorder tout de suite mais 100m plus loin à l’approche des crevasses et devant nos protestations (celles de Valérie et les miennes), une nouvelle pause s’impose pour nous encorder. Sylvain qui portait la corde dans son sac se trouve ainsi délesté de quelques grammes supplémentaires tandis que Gilles qui a accepté de prendre la tête de la cordée et moi qui ferme la marche, nous retrouvons avec le surplus de corde et donc du poids supplémentaire. Je fais mes anneaux de buste, nœud de chaise, hop le mousqueton, je sers la vis, que c’est bon de s’encorder avec ses amis !
La marche reprend et nous nous élevons progressivement, passant à côté des crevasses ou sur des ponts de neige encore bien solides pour la saison. Pas de glace sur l’itinéraire. Décidément, le temps plutôt frais de cet été aura été bénéfique aux alpinistes aoûtiens ! Plus loin, je demande une courte pause pour manger un morceau. J’ai trop faim et j’avance plus. Il doit nous rester 200 ou 300m de D+ mais si je ne mange pas, je vais tomber d’inanition !
Nous arrivons enfin au sommet et je suis bien contente, je commençais à me lasser de cette marche peu variée. Au Dôme, nous sommes récompensés par la vue spectaculaire sur les Dômes de Miage, le « glacier » de Tré-la-tête et le Mont Blanc qui nous domine. Il semble si près et si haut. Sa vue est écrasante. Bien contente de ne pas y aller, 3592m, c’est suffisamment haut pour aujourd’hui !
Après ce tour d’horizon, nous nous apercevons qu’il nous manque quelque chose… Mais où sont donc passés les 30km/h de vent d’ouest annoncés par la météo ??? Seul le catabatique et par moment un léger souffle de 3-5km/h d’ouest viennent nous chatouiller le visage… Tant pis, quel dommage…
nous nous passerons donc du vent et nous en profiterons même pour mettre nos plans à exécution !
Au moment de passer à la phase II de ce marche et vol, le groupe périclite. Sylvain me demande l’autorisation (?!?) de décoller falaise, face à l’ouest, face au vide et au glacier de Tré-la-tête – autorisation que j’accorde magnanimement (« ben tu fais ce qu’il te plait Sylvain, hein ! Kiffe ton vole mec ! ») ; Gilles, qui n’a pas envie de décoller du replat d’où il avait décollé au mois de juin dernier et où il avait dû courir comme Usain Bolt avant de s’envoler, décide de monter un peu plus haut sur l’épaule de l’Aiguille des Glaciers, sur une petite plateforme orientée ouest ; Valérie et moi, les grandes sportives de cette expédition, choisissons le fameux replat de Gilles, prêtes à courir le 100m !
Sylvain est prêt le premier. Nous voyons sa voile se lever puis disparaitre sous les falaises, en douceur et en silence. Nous mettons encore pas mal de temps à nous préparer. J’ai les mains vraiment glacées ce qui ne facilite pas la préparation de la voile. Je m’en sors tant bien que mal en grelotant et en me maudissant pour ne pas avoir pris une paire de gants supplémentaire ou de ne pas avoir recousu les miens desquels les extrémités de chacun de mes doigts ressortent par les trous…
J’ai blindé mon sac avec la corde, le piolet-enclume, les bâtons, le baudrier etc. Si cette sellette (KRUYER II + SAK II) offre de nombreux avantages tels qu’un portage confortable en marche d’approche, le côté réversible avec airbag (on ne sait jamais…) et un grand confort d’assise en vol, la phase attente - décollage avec le sac qui pendouille derrière est vraiment ignoble. Les cordelettes qui servent de bretelles me cisaillent les épaules. Hâte d’être en l’air !
Valérie rate son premier décollage, la voile est bien montée mais s’est effondrée dans la course d’élan qu’elle a été obligée de stopper. J’attends donc que la copine remonte, prépare de nouveau sa voile tout en regardant Gilles s’envoler en deux pas du haut de sa plateforme. Il nous survole en nous faisant un grand coucou auquel nous répondons joyeusement !