13-11-2016
Le nouveau record de distance libre en parapente est porté à 564.30 km au départ de Tacima (Brésil).
Ce que peu d’entre nous ont noté, c’est qu’il n’y a non pas un détenteur de ce record mais… trois co-détenteurs.
Mieux : sur les cinq derniers records, cela fut le cas… quatre fois !
2006 : les frères Aljaz & Urban Valic – 423.50 km depuis Vosburg (Afrique du Sud – Invalidé par la FAI car il ne dépassait pas de plus de 1% le record précédent si l’on comptait le point d’atterrissage et non le point de virage enregistré avant de revenir poser ensemble en sécurité– une aberration stupide d’une réglementation surannée…) ;
2007 R. Saladini / F. Brown / M. Prieto – 461.80 km depuis Quixada (Brésil) ;
2015 F. Brown / D. Lemos – 514.00 km;
2016 S. Nascimento / D/ Lemos / R. Saladini 564.30 km.
Cela ne doit rien au hasard
La fratrie est un lien dont on peut bénéficier en tombant dedans quand on est petit (Aljaz)
Ou que l’on se crée, comme la culture du « gang ».
Car il y a bien une école brésilienne du vol de distance et c’est peu de dire que celle-ci brille ces dernières années.
Encore moins connue est le fait qu’elle applique -avec solidarité, enthousiasme et camaraderie - une méthode fondé sur la connaissance et l’humilité.
Cette école est le fruit de pilotes renommés et respectés pour avoir toujours eu en tête de partager leur savoir-faire et leur compétence pour aider d’autres pilotes –moins dotés en temps libres, moyens financiers et/ou moins doués- à progresser et dépasser leurs propres limites sans pour autant se mettre dans le rouge.
Fait tout aussi remarquable, l’émulation qui a fait que des deltistes se sont impliqués parallèlement dans la même démarche, comme nous l’avait montré le film projeté à la Coupe Icare en 2010, et dont on devrait avoir un nouveau chapitre lors de la prochaine Coupe Icare, s’ils trouvent le budget pour le produire.
Ce même 13 octobre, Glauco Pinto et Andre Wolf ont en effet passé la barre des 610 km au départ de Araruna (toujours au Brésil), battant pour la première fois un record du monde delta au Brésil, et aussi par la même occasion le record de distance en delta à but fixé avec 603.5 km.
No comment…
Ou plutôt si, et plutôt deux fois qu’une.
1- Ce qui n’est pas partagé n’est qu’une dépense inutile d’énergie conduisant à une impasse aussi psychologique que sociale.
2- Pour un pilote autonome, il n’y a pas meilleur enseignement que le vol de distance en équipe !
3- Ce n’est le talent individuel d’un pilote qui prime mais la capacité de chacun des membres du groupe à appliquer une stratégie commune et à donner le meilleur de soi-même pour atteindre le but que c’est fixer le groupe : amener le maximum de pilotes le plus loin possible !
Revenons à la genèse de ce vol libre en équipe brésilien, car la foi en ce projet ne s’est pas construite de rien.
C’est en 2003 que André Fleury et Marcelo Prieto ont initié ce projet avec la ferme intention de développer le potentiel du territoire brésilien pour le vol de distance en parapente, un potentiel déjà révélé par le delta et notamment le regretté Pepe.
Quand ceux-ci ont annoncé leur intention de dorénavant décoller à 7h30 de Quixada, ils ont -à minima- fait rire, en particulier les européens de passage (aujourd’hui, on y décolle à partir de 6h00… ce qui implique de se lever à 4h30 !).
Mais aussi :
- de longues et coûteuses (beaucoup de km en voiture) reconnaissances et vols de défrichage (la partie la plus risquée de la préparation, tant en vol… qu’en voiture, souvent de nuit, sur des routes pas toujours bien pavées et encombrées d’animaux) ;
- une logistique rodée ;
- une planification rigoureuse et respectée par l’ensemble du groupe.
Difficile d’imaginer que l’exubérance et esprit festif symbolique du Brésil puisse s’allier avec une telle discipline.
C’est pourtant le cas : les équipes se décrivent elles-mêmes comme des commandos, soudés, volant comme un seul organisme composée d’organes spécialisés :
- des « impulseurs », généralement pilotes jeunes et/ou agressifs chassant devant, souvent bas et à fond en transition ;
- un stratège navigateur, calculateur et garant du respect des zones à éviter et des espaces aériens, « tour de contrôle » du dispositif ;
- un capitaine, fixant le programme initial mais capable aussi d’intimer un changement de rythme à l’ensemble de la formation quand les conditions deviennent plus faibles et nécessitent un dispositif plus conservatif, ou aussi bien de foncer chasser devant avec les « impulseurs » quand les conditions sont là mais que le thermique attendu n’est à l’endroit prévu ;
- etc.
S’il y a des rôles prédéfinis et des préférences, avec l’expérience, chacun des pilotes devient peu à peu à même de reprendre à son compte les autres fonctions « organiques » en cas de défaillance du titulaire.
Car il est admis par tous qu’il peut y avoir du déchet pendant les premières heures du vol (il ne faut oublier que l’on parle de pilotes près à rester près de 10 à 12 heures en vol – kit « pipi » sur le sexe, eau, barres énergétiques, etc.) et que les premiers posés suivront en voiture pour assurer la récupération et la sécurité de ceux qui poursuivent le vol.
Il n’en ensuite pas question ni de ralentir quand les conditions s’établissent, ni de laisser quelqu’un en route, encore moins de prolonger seul le plané final pour « griller » le record à son co-équipier : le pilote le plus bas choisit un atterrissage sûr pour les autres pilotes encore en vol, atterrissage qui devient le point final du cross.
C’est bien là qu’est le schisme avec ce que l’on retient généralement de ses premières années de compétition.
Ces pilotes brésiliens restent des individualités fortes, des pilotes qui cumulent un nombre conséquent d’heures de vol, mais témoignent d’une camaraderie, d’une solidarité et d’une rigueur dans la recherche de la performance qui n’est de fait pas coutumière sous nos latitudes et qui en font pour moi des exemples à suivre, à quelque niveau que l’on se trouve dans sa pratique et sa progression si l’on s’intéresse au vol de distance.
Ce ne sont pas plus que cela des nantis et/ou des passionnés ayant fait le choix radical de centrer leur existence sur le vol, coupé toutes les attaches et oublié les freins d’une existence « standard » avec famille, enfants et crédit maison, seulement pour voler tout les jours que le ciel fait volables.
Mis à part leur quête annuelle de records, ce sont des gens normaux, qui bossent dur durant l’année et se sont éduqués à la « frustration », habitués à devoir reconnecter leur esprit pour revenir à leur vie quotidienne et aux contraintes du monde « réel » une fois sortis de leurs « parenthèses planantes ».
Je cite Rafael Saladini (double traduction) : « Nous ne volons pas pour devenir célèbres (…) Voler est notre passion, c’est tout. Nous attendons (et nous préparons) une année entière pour être là (durant nos congés)… Nous nous efforçons (pendant le reste de l’année) de maintenir nos capacités de pilote, de maîtrise de notre voile et d’aptitude à voler le plus vite possible, pour ces jours où nous devrons les mettre au service de l’équipe pour voler ensemble le plus vitre et le plus loin possible ».
Il est extrêmement rassurant du point de vue éthique que de constater que de (très) bons pilotes aient pu ainsi renoncé aux formes de compétitions traditionnelles pour se concentrer sur le vol en équipe et se fixer ainsi un challenge d’un tout autre niveau !
Je comprends que l’on puisse ressentir une grande satisfaction dans ces joutes où les pilotes se concentrent sur comment « tuer les autres », pour monter un peu plus haut dans le thermique, le tromper sur leurs intentions ou leur situation, plonger vers le but avant tout le monde ou « régler son compte » à quelques centaines de mètres du but à un pilote plus léger dont on a « sucé le bord de fuite » grâce à quelques petits km/h de plus, etc.
Mais je ne m’y reconnais plus depuis longtemps.
Car je n’apprécie personnellement pas –pas plus que Rafael Saladini qui tient à peu près le même discours- l’atmosphère des compétitions et ait toujours préféré voler en équipe, sans devoir gérer trop souvent en moi un conflit entre une ligne imposée par un enchaînement de balises et celle que suggérerait ma propre analyse (plus sûre, plus belle parfois aussi), subir la charge d’un pilote qui veut me sortir d’un thermique étroit, être le témoin de prises de risques inconsidérée de la part d’autres pilotes aux instincts trop guerriers ou simplement par trop grégaires, etc.
Sans avoir été jamais un chasseur de record, j’ai passé mes plus belles années de vol à être à chaque fois un peu plus « juste », autant que ma compréhension me le permettait, dans mes vols de performance.
Ayant été amené par les circonstance à la tête d’un club, j’ai alors découvert et apprécié mon rôle d’accompagnateur, de « bourdon pollinisateur » des esprits de « jeunes » pilotes ayant envie de progresser (sans considération d’âge et d’expérience en heures de vol – car ce sont deux choses très différentes) parce que j’y trouvais mon compte :
- dans la meilleure compréhension des choses que l’on tire de reformulation de ses propres connaissances pour les faire comprendre et/ou les confronter avec d’autres « écoles », discuter de postulats que l’on peut avoir été amenés à faire sur ce que l’on n’appréhendait pas encore complément ;
- dans le bonheur esthétique de parcourir des paysages magnifiques de concert avec d’autres ailes, m’offrant la perspective physique et l’intensité émotionnelle nécessaires à bien en apprécier autant notre vulnérabilité que la beauté fugace de ces instants magiques ;
- dans la sérénité qu’offre entre camarades de vol le partage et la recristallisation du souvenir de ces moments dont la réalité peut parfois s’estomper.
A chacun son challenge.
Songez à celui-ci si vous pensez pouvoir constituer une équipe soudée et solidaire dans un engagement bien compris et mesuré.
Privilégiez les gens de caractères différents mais avec lesquels vous vous sentez bien au sol avant de considérer leur palmarès et/ou le niveau que suggère le référentiel d'homologation de leurs ailes.
Il y a de grandes chances que ce sentiment se renforce en l’air quand vous apprendrez ensemble à fonctionner en équipe.
C’est en tout cas ce que je vous souhaite de tout cœur pour l’année 2017.