On m'a citée en citant en même temps Messner, c'est manière de mélanger l'alpha et l'oméga et c'est très con, que ce soit injurieux à mon égard me ferait plutôt rigoler.
J'ai rencontré Messner il y a bientôt 50ans, le 19 juillet 1969 et ce ne fut qu'une rencontre de circonstance : le gardien du refuge d'Argentière m'avait demandé d'aller le voir parce que je parlais allemand et lui pas encore français.
Ce n'est pas Messner qui a immortalisé cette date dans ma mémoire, mais le sauvetage en crevasse que j'avais fait pendant la montée, le gus était descendu au sous-sol juste devant moi. Je n'avais pas hésité une seconde pour descendre le chercher, il y a toujours urgence quand quelqu'un tombe dans un pot.
Le lendemain, Apollo 11 se posait sur la Lune et Messner faisait la Davaille en solo.
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J'ai été parmi les excellents alpinistes français dans les années 70, puis un enfant est arrivé et ce fut la fin de ma carrière. Très peu de mes copains de l'époque sont encore en vie.
J'ai gardé en mémoire tout ce que la Montagne m'a appris, dans tous les massifs où j'ai grimpé et skié, quelques passages célèbres sont restés gravés aussi comme la fissure de Grand-Mère dans l'arête E du Plan (voie Ryan-Lochmatter), la fissure Allain dans la face N du Dru ou les Dalles Noires et la Cheminée Rouge dans la Walker, la traversée du couloir du col Armand Charlet dans la face N de l'Aig du Jardin et bien sût la face N de l'Aiguille du Midi (sous les câbles) en "alpinisme pré-conjugal". Dans les Dolomites, je me rappelle comme si c'était hier la fissure Piaz à la Torre Delago (dans le Vajolet), le passage le plus dangereux que j'aie jamais gravi... et le grand pilier du Piz Lasties (entre le Pordoï et le Ciavazzes), dont je fis la 2de sans marteau, tout aux coinceurs sur un rocher qui n'en voulait pas, ce n'était pas extrême mais d'une exposition dingue, sans aucune possibilité de redescendre... avec la bébé de 8 mois au camping. Une voie magnifique en excellent rocher, heureusement.
40ans après, la mémoire n'est pas effacée.
Il y avait eu en 73 le Pilier Leprince-Ringuet à Glandasse, qui avait été entièrement dépitonné et que des Lyonnais rencontrés à Valcroissant m'avaient décrit comme parfaitement équipé. J'avais pris à tout hasard un marteau et 4 ou 5 pitons, et ce fut une bagarre homérique, mais c'était passé... au prix de quelques astuces, notamment des coincements de noeuds de corde comme faisaient les gars de l'Elbsandsteingebirge, voire parfois de cailloux qui, décorés de cordelettes, faisaient d'excellents coinceurs (avant leur invention par Yvon Chouinard). Et le surplomb de sortie fut un grand moment de gymnastique, magnifique, génial, un pur bonheur de sortir comme ça... avec les premières gouttes d'une pluie qui allait nous rincer complètement dans la descente.
J'ai toujours flairé les plaques à vent et j'ai eu de la chance de ne pas me tromper, parce qu'une seule erreur est en général fatale. Aucun dévissage, aucune chute en crevasse mais quelques sauvetages quand même, deux buts énormes avec 500m à redescendre sous la neige (aux Droites) ou sous la pluie (à l'Agner)... et deux fois recalée au concours de l'ENSA, comme TOUS les Parisiens et les Marseillais, alors que des brèles étaient reçus. Une honte. En 74, j'étais ric-rac dans les choux, pour 8 millièmes de point (aberrant) avec mon copain Pierre Béghin 4 places derrière, c'était n'importe quoi.
In fine, avec le recul, l'ostracisme des gugusses de l'ENSA fut bénéfique : si j'avais été guide, je serais depuis longtemps Bd des Allongés et vous n'auriez pas à subir ma prose.
A quelque chose malheur est bon.
Bref j'interviens ici quand des gens font n'importe quoi en montagne et passent du parapente à la spéléo en costume de bois. J'ai trop vu, et les gars du PGHM le voient tous les jours, des gens incompétents se mettre en danger par inconscience.
Je me rappelle une traversée du couloir du Goûter, encore en neige à l'époque. Un Italien s'était arrêté au milieu pour remplir sa gourde ! Passa un gros caillou, il fut déséquilibré et il tomba. Il y avait à l'époque un câble sur lequel les gens se mousquetonnaient, le choc de l'Italien fit sauter un ancrage du câble et il tomba dans le couloir, emmenant avec lui les autres qui étaient aussi mousquetonnés sur le câble... cela fit un paquet de gens en vrac, dégringolés crampons en avant, empilés sur le gugusse et retenus par l'épissure d'extrémité, suspendus à l'ancrage restant dont la solidité était douteuse après un choc pareil, ce fut un sacré merdier pour aller les chercher, sur un terrain extrêmement dangereux.
Un seul abruti aurait pu causer la mort de 8 personnes et peut-être de sauveteurs.
Il y a toujours du monde par beau temps sur le Mont Blanc, dont une majorité d'alpinistes à peu près compétents et une grosse minorité de sarpés.
On en voit des comme ça quand on descend l'arête de l'Aiguille du Midi pour gagner le décollage, il y a toujours un bouchon causé par un sarpé mort de trouille qui descend à reculons, la meilleure façon de se casser la gueule.
Les biplaceurs (tous guides, à l'Aiguille) pensent au porte-monnaie et se foutent pas mal que leurs clients bouchonnent.
Aller crapahuter comme ça en altitude, en venant de la plaine, n'est pas anodin et j'en sais quelque chose parce que, malgré un souffle solide et un coeur lent, je ressens dans l'effort les effets de l'altitude, ce qui n'arrivait jamais quand j'étais tout le temps en montagne.
En 2014, je souffrais déjà à Vallot (je n'aurais pas dû monter au col des Frêtes la veille en cavalant) mais le but fut marqué à cause du lenticulaire se formant sur le sommet, le vent trop fort nous aurait de toute manière interdit de décoller.
300m plus bas, à l'abri du vent, ce fut facile pour un vol splendide au lever du jour.
Le décollage à l'Aiguille en octobre 2015, sans vent et dans 30cm de poudreuse, fut une rude épreuve pour 8 de notre groupe de 10 et si je réussis du premier coup (merci à la Diamir) en y mettant tout ce que j'avais, je fus lessivée pour le reste de la journée.
Les copains et copines, de 30 à 40ans plus jeunes, n'eurent pas ce souci.
1000m plus haut, après être restés un certain temps à s'user au Mont Blanc sans s'en rendre compte, il est normal que ceux qui loupèrent un déco aient été complètement cuits par l'effort et aient eu un mal fou à remonter, puis à décoller, avec la trouille au ventre. Que ce soit sur Chamonix ou sur le lac Combal, le terrain ne laisse aucune chance à celui qui dévisse sans corde pour le retenir. Je ne suis pas certaine que les pilotes / sarpés qui se sont posés là-haut cette semaine aient été conscients des risques énormes qu'ils prenaient.