Encore un article que je trouve intéressant :
https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/07/violences-du-capitole-les-derniers-saccages-de-donald-trump_6065451_3210.htmlComme il est réservé aux abonnés, je le mets en clair :
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Les derniers saccages de Donald Trump
L’envahissement du Congrès par ses partisans, mercredi 6 janvier, est le dernier épisode de l’entreprise de démolition menée par le président des Etats-Unis depuis son élection. En encourageant les suprémacistes blancs comme les complotistes, il a aussi fracturé le Parti républicain.
En mars 2019, Donald Trump avait livré cette conviction au site ultranationaliste Breitbart News. « Je pense en fait que les gens de droite sont plus durs [que la gauche], mais ils ne jouent pas plus durement. D’accord ? Je peux vous dire que j’ai le soutien de la police, le soutien de l’armée, le soutien des “motards pour Trump” – j’ai des gens durs, mais ils ne jouent pas dur – jusqu’à ce qu’ils atteignent un certain point, et alors ce serait très mauvais, très mauvais », avait assuré le président.
Le ton était dépourvu de la moindre préoccupation morale. Il dépeignait le rapport de force largement fantasmé que le président américain souhaitait entretenir. Tous les moyens lui semblaient bons, quel qu’en soit le prix pour la démocratie, une valeur régulièrement absente de ses discours et réduite dans sa pratique du pouvoir à une simple variable d’ajustement. En fonction des circonstances et de ses intérêts.
Ces « gens durs » se sont matérialisés, mercredi 6 janvier, au cœur même de la démocratie américaine, le Capitole, alimentant des images que les Américains ne pensaient sans doute jamais voir dans leur propre pays. Ces « durs » sont apparus après avoir été chauffés à blanc pendant deux mois par les diatribes d’un perdant incapable de reconnaître sa défaite, indifférent aux conséquences de l’assaut en règle orchestré contre les institutions américaines, l’un des éléments majeurs de cette « grandeur » dont il prétend être soucieux, mais jeté à terre et foulé aux pieds.
Le procès en destitution de Donald Trump, il y a tout juste un an, avait donné l’occasion aux démocrates de mettre solennellement en garde contre le danger incarné, selon eux, par ce président indifférent aux normes et aux règles. Il s’agissait alors du chantage exercé contre l’Ukraine pour que Kiev ouvre une enquête visant le futur adversaire démocrate du président sortant, Joe Biden, à travers son fils.
Le représentant de Californie Adam Schiff s’était montré le plus alarmiste. « Est-ce que quelqu’un peut dire aujourd’hui : “Donald Trump ne ferait jamais une chose pareille ?” Bien sûr que non, parce que nous savons qu’il la ferait, et parce qu’il l’a faite », avait-il assuré. « Si le droit ne compte plus, peu importe la qualité de la Constitution, peu importe le génie des Pères fondateurs, peu importe si nos arguments dans ce procès sont bons ou mauvais, peu importe comment le serment d’impartialité a été rédigé. Si le droit n’a pas d’importance, nous sommes perdus. Si la vérité n’a pas d’importance, nous sommes perdus. Les Pères fondateurs ne pourront pas nous protéger contre nous-mêmes si le droit et la vérité ne comptent plus », avait ajouté Adam Schiff face à des sénateurs républicains indifférents, à l’exception d’un seul, Mitt Romney.
Cette mise en garde était annonciatrice de toutes les dérives dont Donald Trump s’est rendu coupable depuis le 3 novembre. Elles ont trop longtemps été tolérées par un Parti républicain subjugué. Ce dernier a attendu d’être au bord de l’abîme, mercredi, pour que des voix qui comptent, celle du chef de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, et celle du vice-président, Mike Pence, finissent par devenir audibles en rompant sans retour possible avec le mentor de ce chaos.
L’enfermement de Donald Trump dans l’illusion d’un raz-de-marée électoral en sa faveur, escamoté, selon lui, par une fraude – introuvable –, et sa bienveillance envers les agitateurs qui ont pris d’assaut le Capitole ne peuvent pourtant surprendre personne. Le président sortant a constamment joué avec l’alibi d’un vote truqué, dès 2016, pour s’affranchir de la moindre responsabilité dans une défaite.
Depuis son entrée tardive en politique, il s’est montré, de la même manière, incapable de désavouer spontanément les familles et les strates de l’extrême droite qui lui apportaient leur soutien, des suprémacistes blancs aux complotistes du mouvement QAnon, désormais représenté au Congrès. Ce choix de la meute – pourvu qu’elle l’adule – contre les institutions a constitué l’un des fils conducteurs de sa présidence. Il a été trop longtemps toléré comme un mal nécessaire par le camp conservateur se proclamant comme celui de la loi et de l’ordre.
Ce dernier a jugé qu’un pacte faustien avec ce président était acceptable, pourvu qu’il lui apporte ce qu’il souhaitait : une réforme fiscale conforme à ses vœux, la défense de ses positions sur l’avortement et les armes à feu, et des dizaines de nominations de juges, y compris le renforcement de la majorité conservatrice au sein de la Cour suprême, la plus haute institution judiciaire des Etats-Unis. Donald Trump a d’ailleurs considéré cette dernière comme un simple outil destiné à le protéger contre les aléas de la politique, avant de déchanter.
La journée du 6 janvier sera peut-être celle du schisme pour le Grand Old Party (GOP), celle de la rupture d’une partie de ceux qui avaient tout accepté jusqu’à présent, par lâcheté ou par calcul. Et cela promet d’être douloureux. Le fils de Donald Trump n’avait pas tort en proclamant, mercredi matin, avant les débordements sans précédent dans l’enceinte du Capitole, que le Parti républicain était désormais celui de son père. Sans nuances ni réserves.
Tout oppose les deux factions qui cohabitent désormais sous la même bannière, celle du Parti républicain maintenu et celle du président battu. Les menaces contre les responsables républicains de Géorgie, qui ont tenu tête face aux allégations de fraude ou de tricherie, que rien n’a jamais pu étayer en deux mois, en ont donné un avant-goût de ce qui attend le GOP. Elles aussi sont venues du sommet de l’Etat, agitées encore mercredi matin par un homme qui avait pourtant prêté le serment, le 20 janvier 2017, de défendre la démocratie. Les déchirements républicains promettent d’être lancinants, primaire après primaire, dans les mois qui s’annoncent.
Cruelle ironie de l’histoire, l’intrusion historique de la foule trumpiste dans le saint des saints de la démocratie américaine, la tentation illusoire d’user de la menace et de l’intimidation, pour renverser l’issue d’une élection sont survenues le même jour que la double défaite essuyée par le Parti républicain en Géorgie. Cette dernière a entraîné le basculement du Sénat dans le camp démocrate d’une voix, celle de la vice-présidente élue, Kamala Harris, qui deviendra également le 20 janvier, à midi, la présidente du Sénat.
Après la perte de la Chambre des représentants en novembre 2018, après la perte de la présidence il y a deux mois, celle du Sénat porte une nouvelle fois la signature de Donald Trump. Par ses imprécations, ce dernier a en effet troublé les électeurs républicains aussi sûrement qu’il a mobilisé les démocrates dans ce qui était considéré ces dernières années encore comme un solide bastion conservateur.
« Nous allons gagner tellement que vous allez en être épuisés. Vous allez dire : s’il vous plaît, s’il vous plaît, Monsieur le président, nous en avons assez de gagner. S’il vous plaît, laissez-nous avoir au moins une défaite. Ce n’est plus excitant de gagner. Et je vais dire : non, nous allons continuer de gagner, et je me fiche que vous aimiez ça ou non », fanfaronnait Donald Trump en 2016. Un peu plus de quatre ans plus tard, son bilan constitue son procureur le plus implacable.
Gilles Paris
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Marc