Sur le fil concernant l'effondrement d'une partie du glacier de la Marmolada, on avait évoqué la fonte très rapide du
glacier Blanc (massif des Ecrins), due au changement climatique en cours.
Le journal
"Le Monde" vient de publier un article très complet au sujet de ce glacier.
Voir ici :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/07/30/dans-le-massif-des-ecrins-le-glacier-blanc-un-geant-en-sursis_6136648_3244.html-------------------------------------
Le géant, qui culmine à 4 012 mètres, le plus vaste des Alpes du Sud, subit de plein fouet la sécheresse et les canicules exceptionnelles de cette année. Le massif est particulièrement vulnérable au dérèglement climatique : la moitié des glaciers a déjà disparu.
Le plus dur, ce n’est peut-être pas la vue sur le front du glacier Blanc, dont les extrémités grisâtres s’écoulent en torrents sous un soleil de plomb en cette fin de juillet. C’est plutôt la cruelle comparaison avec les photos du passé, vestiges d’une époque – récente – où le plus vaste glacier du massif des Ecrins, mais aussi des Alpes du Sud, offrait toute sa superbe. Elles témoignent de l’accélération dramatique du déclin de ce géant, qui culmine à 4 012 mètres, et de sa fonte exceptionnelle depuis le printemps. Un poste d’observation avancé du dérèglement climatique dans cette région de haute montagne à cheval sur les Hautes-Alpes et l’Isère.
Bien sûr, les clichés les plus anciens racontent le mieux la grandeur glaciaire perdue. Comme cette photo de 1895, sur laquelle le glacier arrivait à l’ancien refuge Tuckett, situé à 2 400 mètres d’altitude, et se déroulait bien plus bas. Mais nul besoin de remonter si loin pour observer la déchéance du monstre blanc. Sur une image de 1981, il dévale la montagne, large et bombé, creusant en son extrémité une grotte de glace. « A ce moment-là, il fallait le traverser pour rejoindre le refuge du glacier Blanc », raconte Thierry Maillet, technicien patrimoine au Parc national des Ecrins, sur le secteur de Vallouise. Désormais, depuis le vaste établissement en pierre, à 2 542 mètres, il faut encore grimper une heure pour atteindre le front glaciaire. L’agent fait défiler les photos : 1995, 2002, 2009… A mesure des années, le colosse « disparaît à l’œil nu ».
Recul de 60 mètres par anLes chiffres ne disent pas autre chose. Le glacier Blanc a reculé de 1 kilomètre depuis trente-cinq ans, et son front remonte désormais de 60 mètres par an en moyenne. Il se déleste, sur l’ensemble de sa surface, d’environ l’équivalent de 2 mètres de glace en épaisseur par an et sa superficie se réduit toujours plus vite. De sorte que, sur un siècle, la perte de masse annuelle a été multipliée par presque dix, et « ce déficit s’est particulièrement accéléré ces sept dernières années », précise Thierry Maillet.
L’année 2022, exceptionnelle, devrait marquer une nouvelle rupture. « Cela va être catastrophique », prévient l’agent. A l’enneigement historiquement bas dans les Ecrins cet hiver se sont conjuguées de fortes chaleurs persistantes, dès mai, et deux canicules. Les Hautes-Alpes ont connu, en juillet, la plus longue vague de chaleur jamais enregistrée dans le département. Sous des températures extrêmes, les glaciers, dévêtus de leur couche de neige, fondent encore plus vite, car la glace absorbe davantage les rayons du soleil. « On s’attend à un bilan de masse historiquement déficitaire pour le glacier Blanc, au moins équivalent au record de fonte de 2003, voire pire », livre Thierry Maillet. Tout repose désormais sur la météo d’août et de septembre, avant le bilan d’octobre. Mais, pour l’instant, « on ne voit pas la fin des chaleurs et de la sécheresse », avertit Gaétan Heymes, météorologue à Météo-France, basé à Briançon.
Aux premières loges de ces changements, le gardien du refuge du Glacier-Blanc, Nicolas Chaud, reconnaît « avoir pris une claque ». « C’est cette année que j’ai pris conscience que le réchauffement climatique est vraiment là », livre cet enfant de Pelvoux. Il cite les chutes de séracs − des blocs de glace de grande taille formés par la fracturation d’un glacier, du fait d’une rupture de pente ou d’un à-pic rocheux sous-jacents − quotidiennes depuis le front du glacier, les températures dépassant 30 °C la journée et 15 °C la nuit, et surtout l’eau approvisionnant le refuge qui ne coule presque plus depuis les névés, les neiges qui persistent en été. Nicolas Chaud a alors monté deux cuves de 1 000 litres d’eau, pour la première fois en dix ans de gardiennage. « Si la source se tarit, cela ne permettra de tenir que deux ou trois jours. Après, on sera obligés de fermer », prévient-il.
« Coup de blues »Sur la terrasse, où randonneurs et alpinistes cassent la croûte, l’état du glacier est au menu. Thomas Schober, adhérent au club alpin de Crest (Drôme), se prépare pour une course. Malgré la perspective d’un cadre grandiose, face à la barre des Ecrins – le sommet du massif (4 102 m) –, il dit ressentir un « coup de blues ». « Le déclin des glaciers touche à l’émotionnel, car il évoque la finitude du monde, analyse-t-il. C’est un indicateur visuel du monde dans lequel on vit, soumis au dérèglement climatique. » A côté, Benoît Degiovani est venu avec ses garçons pour « qu’ils approchent la nature et prennent conscience du changement climatique ». « C’est la dernière génération qui verra les glaciers », lâche leur guide, Yves Rey.
Mieux comprendre le changement climatiqueSi le glacier Blanc est le seul à faire l’objet d’un suivi exhaustif, à l’aide de photos annuelles, de carottages de glace, etc., dans le massif des Ecrins, ses congénères vivent la même tragédie. Sur le sentier, avant le refuge, la vue offre un panorama sur les langues glaciaires d’Ailefroide, de la Momie, des Violettes et du Pelvoux, considérablement étiolées. Toutes survivent encore, mais pour combien de temps ?
Sur les 120 glaciers que comptaient les Ecrins dans les années 1950, la moitié a déjà disparu. La majorité des survivants « n’ont plus de zone d’accumulation », c’est-à-dire qu’ils ne fabriquent plus de glace et vivent sur leurs réserves, indique Emmanuel Thibert, glaciologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et spécialiste du massif. Les projections laissent peu de place au doute : « On va perdre de 90 à 95 % des volumes de glace dans les Ecrins à l’horizon 2100. » Seuls certains, comme le glacier Blanc, pourraient survivre, dans une hypothèse où les précipitations se poursuivraient au même rythme en altitude, mais les incertitudes sont grandes. « Je considère que l’on a déjà perdu les glaciers des Ecrins. C’est la singularité de ces montagnes qui disparaît », s’émeut le scientifique.
Grimper au cœur du parc national, c’est observer l’engrisement des montagnes. Les anciennes surfaces blanches immaculées ont aujourd’hui été remplacées par des roches polies, des moraines ou des éboulis, au travers desquels la végétation, comme le génépi ou les épilobes roses, tente de se frayer un passage. « Davantage que l’esthétique, le plus triste, c’est de se dire que l’on est en partie responsables de cette situation », estime Thierry Maillet.
Dans ce massif qui se réchauffe plus vite que la moyenne française (+ 2 °C, en quarante ans, à 3 000 mètres d’altitude), la montagne devient également plus dangereuse. Les alpinistes amateurs croisés au refuge du Glacier-Blanc ont en tête l’effondrement de celui de la Marmolada, dans les Dolomites italiennes, qui a causé la mort de onze personnes, début juillet, au lendemain d’un record de chaleur au sommet.
Dégradation du permafrost« Tous les itinéraires sont plus difficiles, plus sélectifs », explique Claude Albrand, 79 ans, membre du Bureau des guides des Ecrins. A tel point que les topoguides sont devenus « complètement caducs », y compris les plus récents. Celui qui a commencé son métier en 1968 observe des changements « flagrants » en altitude : des éboulis plus nombreux et instables, des crevasses plus fréquentes, des glaciers à vif. La neige de surface ayant disparu au dôme de neige des Ecrins, le sommet du glacier Blanc, « il faut marcher sur de la glace de patinoire, ce qui est d’autant plus difficile que la pente est raide », donne-t-il en exemple. « Avant, on avait plus de 100 personnes par jour sur cet itinéraire ; maintenant, on est passés à une cordée de trois personnes tous les trois jours. » La saison propice à l’alpinisme s’est aussi décalée de l’été au printemps ou à l’automne.
S’il n’existe pas de chiffres consolidés, Ludovic Ravanel, géomorphologue (CNRS) à l’université Savoie-Mont-Blanc, estime que le massif des Ecrins subit « moins » d’écroulements rocheux ou de déstabilisations que celui du Mont-Blanc, où l’exposition aux risques est par ailleurs plus forte, car les habitants sont plus nombreux. Ces phénomènes ne sont toutefois pas rares. En août 2018, un piton rocheux surplombant le glacier Carré s’est effondré, blessant deux alpinistes sur la voie normale d’ascension de la Meije, sommet emblématique des Ecrins. En cause : la dégradation du permafrost, c’est-à-dire le réchauffement de ces terrains (sols, parois, etc.), dont la température est toujours négative et qui font office de ciment des montagnes.
Le dérèglement climatique a aussi entraîné la fermeture, l’an dernier, du refuge de la Pilatte, situé à 2 577 mètres d’altitude, et construit en partie sur un bloc devenu instable en raison du retrait du glacier du même nom. Des fissures, identifiées dès le début des années 1990, se sont aggravées l’an dernier et « le refuge risquait de se couper en deux », indique Ludovic Ravanel, qui précise que les autres refuges du massif ne sont pas menacés. Si l’événement a été un choc pour une partie des alpinistes, Mathilde Dahuron, qui a été la gardienne de la Pilatte, de 2014 à 2021, n’est « pas tombée des nues ». « Jusqu’à présent, on préférait avoir des œillères sur la gravité du dérèglement climatique », regrette-t-elle, dénonçant « l’absence de politique radicale du gouvernement » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. « Cette année, on ne peut pas éviter la réalité de la crise climatique. »
Audrey Garric (Vallouise-Pelvoux, Hautes-Alpes, envoyée spéciale).
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Je connais bien ce glacier pour y être allé souvent, avec d'ailleurs 4 vols depuis la grande pente de neige située sous le Dôme de neige des Ecrins (cf. mon avatar).
Je suis vraiment désolé de lire cela, même si on sait bien que le processus est engagé depuis un paquet d'années...
Marc