J’aurai pu me contenter d’un « Effectivement c’était pas mal » à la Jacques (seul CR auquel j’ai eu droit pour ses 7h de vol et 150km entre Aussois et Morzine) … A la place, j’en ai tartiné quelques pages sur mes 10 min de vol (et 4h et quelques de montée) …
Comme un cheveu sur la soupe…Faut dire qu’elle est tombée comme un cheveu sur la soupe cette sortie. Je l’avais pas vu venir ! Après quelques essais à peu près réussis de décollage skis aux pieds sur des pistes plus ou moins damées, j’avais espéré tout l’hiver tenter un décollage sauvage à ski d’un sommet (en Maurienne, faut-il le préciser ?). Vous allez me dire « mais si tu te fais chier à monter à ski, quel est l’intérêt de redescendre en volant ? C’est bien mieux de skier !!!! ». Alors oui… enfin peut-être… Tous ceux qui m’ont déjà vu skier pourront vous confirmer que, pour les nerfs et la patience de tous les membres du groupe (moi compris), il vaut mieux que je descende par la voix des airs ! Bon, mais les conditions n’avaient jamais été réunies pour mettre ce plan à exécution : trop de vent, trop avalancheux, pas la bonne orientation, pas dispo, trop trop trop et pas pas pas… Et voilà l’été, voilà l’été ohé ! Les fleurs sont de sortie, le vélo, les chaussures de course et le matos d’escalade aussi ! Bref, j’avais laissé tomber cette histoire de vol à ski. J’avais « rangé » les skis bleus et les chaussures noires quelque part dans notre foutoir habituel. Et d’ailleurs, j’avais même pas envie de voler (si si je vous jure, ça arrive !!!).
Mais voilà que Stef envoie une bombe sur le whatsapp du groupe, vendredi 13 mai : « des motivés pour faire le pic de l’étendard demain (ski + vol) ? ». À l’heure de l’écriture inclusive, il aurait quand même pu écrire « motivé.e.s ». Parce qu’on est de plus en plus nombreuses dans ce club et parce qu’il savait que j’avais envie de le faire ce pic, et que moi, suis une fille hein ! Mais il a peut-être cru qu’il n’y aurait aucune nana assez folle pour vouloir le suivre dans cette entreprise... Bon passons sur la grammaire… Et puis en fait je m’en fous de l’écriture inclusive, je trouve ça chiant et inutile, mais c’était juste pour râler
Dès la réception du message, les fourmillements dans les jambes s’activent. Les voiles, sagement rangées dans le grenier, et les skis à la cave, piaffent d’impatience. Et donc deux mois après avoir explosé à ski au col des Cerces en tentant de suivre le grand Stef, j’ai déjà oublié ô combien difficile cela pouvait être et je réponds favorablement à cet appel. Plus encore, j’ai déjà oublié ô combien c’était long cet itinéraire de l’Étendard… Mais enfin, pire que tout : Philippe-la-fusée est ultra partant pour venir !!!! Personne de « normal » ne se manifeste pour tenter de tirer le groupe vers le bas. Il me faudra donc jouer ce rôle et composer avec les deux lascars… Mais il ne fallait pas laisser passer cette chance d’aller clôturer la saison de ski-vol en beauté et tant pis s’il faudra souffrir un peu (beaucoup).
HistoriqueCe sommet revêt un caractère particulier pour moi. En effet, c’est là, il y a plus de 10 ans, que le copain a planté la graine ! Mais non voyons, pas celle-là… l’autre… Celle de cet amour de et pour la montagne qui ne m’a alors plus quitté et n’a fait que grandir chaque jour un peu plus. Je me souviens encore de mes premiers pas sur ce glacier, crampons aux pieds, toute impressionnée par ce dédale de crevasses que je découvrais pour la première fois, le bivouac près des lacs et le lever très matinal.
C’est là aussi que j’étais revenue pour faire le 9e sommet de mon épopée de 30 sommets de plus de 3000m en mai 2017. Avec les raquettes cette fois-là, toujours avec le copain et au départ du col de la croix de fer, nous avions littéralement explosé avec la chaleur, le manque d’eau et la fatigue. Et si j’étais arrivée au sommet, heureuse, la descente avait été un enfer et j’y avais découvert qu’on pouvait s’endormir en marchant ! Jamais deux sans trois, j'ai proposé au copain de faire partie de cette nouvelle expédition pour qu’il redescende à ski à la vitesse de la lumière pendant que nous le survolerions. Mais il n’est pas fou, il m’a répondu « Non merci, l’Étendard, c’est trop long ! »…
En effet, même si nous en avons de bons souvenirs, il n’en reste pas moins que l’Étendard, sommet qui culmine à 3464m et offre une vue majestueuse sur toutes les Alpes, rien que pour l’aller c’est 11 bornes et presque 1600m de dénivelé au départ du col de la croix de fer… Autant dire qu’il y a des longueurs ! Et puis il faut monter au col des tufs pour ensuite descendre vers le refuge pour ensuite remonter vers le sommet mais pas avant d’avoir fait quelques bornes sur le plat. Ce sommet se prête donc vraiment bien au ski et vol :
--> Si ça décolle, certes, tu ne profites pas de skier cette grande pente sous le sommet mais t’évites de te farcir les longs faux plats à la descente où le ski est monotone et la remontée au col des tufs infernale.
--> Effet miroir, si ça ne décolle pas, tu es content de pouvoir profiter de skier cette grande pente et même si tu te farcis la remontée au col des tufs et les longs faux plats, ça va toujours plus vite qu’à pied ou à raquettes !
--> Enfin si ça décolle mais que t’as aussi envie de skier la grande pente, que t’es rapide comme l’éclair Philippe et que t’as pas eu ton compte avec une seule montée, tu peux la faire deux fois, une fois pour la descendre à ski, une fois par les airs… Il ne l’a pas fait ce jour-là mais on sait que ça l’a fortement démangé… Et qu’il en était physiquement très capable !
L’idée est lancée, maintenant il faut s’organiser. Voulant faire un peu de zèle, je m’en vais regarder la réglementation aérienne en ces lieux. Le parcours du combattant pour comprendre à quel document se référer commence. Il y a un SUP-AIP qui a été publié récemment pour l’aérodrome de l’Alpe d’Huez pour des entrainements d’aviation en vue d’un spectacle. La zone de restriction de vol (pour nous) englobe pile poil le sommet... Les périodes d’activité (et qui ne nous permettraient alors pas de voler) sont contradictoires entre le texte et le titre… Ça commence déjà mal… Il y a également un NOTAM associé qui a été publié et notifie une activation de la zone de restriction de vol pile pour ce week-end du 14/15 mai (si j’ai bien compris)… Zut…
Stef se rencarde auprès du coordonnateur au sol sur la situation et après quelques appels téléphoniques, le gars lui dit que c’est tout bon pour nous, la voie est libre ! Bref, je ne sais pas quelle information était la bonne, mais nous, on a retenu que la dernière : feu vert pour le vol ! Alors, assez bavassé, place à l’action !
Départ tout feu tout flamme !Phil est passé me chercher à 4h45 chez moi. La nuit a été courte mais reposante. Mes affaires préparées la veille sont vite entassées dans sa voiture et nous ne perdons pas de temps en bavardages inutiles, nous décalons direction St-Jean-de-Maurienne où nous changeons de voiture pour monter dans le camion de Stef avec qui nous terminons la route. Je ne me souvenais plus que c’était aussi long de monter jusqu’au col de la croix de fer. Mais en fait, ce n’est pas long, c’est interminable !!! Autant dire que je suis bien contente qu’aucun des deux lascars n’ait proposé de faire une approche en mobilité douce, genre à vélo-ski… mais chut, faut pas le dire trop fort, ils seraient capables de le tenter à la prochaine occasion !
Le col est encore officiellement fermé mais quand on traine avec le responsable des routes mauriennaises en personne, on craint dégun ! Stef nous emmène donc par la route entièrement déneigée jusqu’au col, bravant l’interdiction implicitement formulée par le panneau sur lequel il est écrit sur fond rouge, en gras et en majuscules, « col fermé » et nous nous arrêtons sur le parking où deux ou trois autres véhicules sont déjà stationnés.
La montée en voiture m’a un peu ensuquée et je tente de sortir de ma torpeur pour m’équiper rapidement et efficacement. J’ai encore pris trop de matos avec moi et mon sac est largement trop lourd. Mais on est jamais trop prudent !!! J’allume l’arva, je charge le paquetage sur mes épaules et ajuste les sangles. Phil me met silencieusement une pression d’enfer. Prêt le premier, il attend sans dire un mot que le reste de la troupe soit opérationnelle. Mais bien que silencieux et impassible, je sens bien que dès que l’assaut sera lancé, il s’envolera vers le sommet comme une balle.
Du col de la croix de fer au col des tufs...6h15 tapante, top départ, Philippe-la-fusée est lancé. Nous marchons, les skis à la main, sur à peine 200m de plat avant de trouver l’enneigement qui nous permet de les chausser et ne plus les quitter jusqu’au sommet. Les belles Aiguilles de l’Argentière à notre droite s’illuminent dans l’aube naissante. Même pas le temps de faire des photos car je sens Philippe sur mes talons, impatient et prêt à me doubler. Dès que l’occasion se présente, il met le turbo et passe devant. Je souffle alors un peu et prends un rythme plus lent mais que je sais aussi pouvoir tenir plus longtemps. Stef se cale sur mon pas pour m’accompagner. À ce rythme pour lui, ça reste encore de la « balade ».
Ça monte quasiment d’entrée de jeu et un gus qui doit avoir deux fois mon âge et un sac deux fois moins lourd que le mien nous double tout guilleret. Quelques mots échangés rapidement nous apprennent qu’il se rend également à l’Étendard. Phil, ayant trouvé un compagnon qui avance à son rythme, passe la deuxième et le suis joyeusement. Nous ne le voyons bientôt presque plus… Bon ben salut l’ami, c’était sympa de faire du covoiturage avec toi
Il y a environ 500m de dénivelé pour arriver jusqu’au col des tufs. La neige est dure et bien portante ce qui facilite la montée. Stef papote un peu mais j’avoue que pour une fois, encore à moitié endormie, je suis peu encline à discuter, et plus préoccupée à garder un peu de forces pour la suite. Nous échangeons quelques mots, et des levers d’yeux au ciel quand nous apercevons au loin Phil, « le petit point qui bouge ». Mais ce dernier aura finalement lâché le gars pour nous attendre au col des tufs où nous le rejoignons enfin.
Scoop de l’ÉtendardLes lacs étant en cours de dégel, nous ne prendrons pas le risque de passer dessus (ou à travers, c’est selon…). Et comme les deux fois précédentes pour moi, il nous faut redescendre au niveau du refuge que nous atteignons à 7h30 pour passer sous le déversoir du premier lac avant de le contourner par sa rive gauche. De l’eau bien liquide s’en échappe pour aller rejoindre le lac de Grand Maison dans une vallée plus bas. Nous remontons à flanc du lac et nous nous employons à avancer sur ce long plat. Le jeu de couleur blanc neigeux-bleu lacustre est toujours aussi magique que dans mon souvenir et je refais la même photo qu’il y a 5 ans.
Philippe correspond de nouveau à un petit point mouvant tout au loin là-bas. Il n’est d’ailleurs pas le seul petit point. Il y a d’autres silhouettes en vue qui ont sûrement été plus malines que nous et aurons dormi au refuge pour gagner du temps, du sommeil et économiser un peu d’énergie ! Mais en fait, c’est tellement marrant de faire ces randonnées d’une traite plutôt que de couper en deux que je ne les envie même pas.
Une fringale me guète et j’imite Stef qui a sorti la barre de céréales pour se requinquer. Pour moi, ça sera mangue séchée-qui-colle-aux-dents, achetée lors d’un périple en Allemagne (enfin les mangues ne poussent certainement pas plus là-bas qu’en France mais sur le paquet il y a marqué Deutschland, alors bon…). Bien contente d’avoir un camelback et de pouvoir boire sans avoir à poser le sac pour sortir la bouteille d’eau, je sirote mon eau additionnée de citron qui a pour vocation, avec une efficacité limitée, de cacher l’horrible gout de plastique de la poche à eau. Mais au-dessus de 2500m d’altitude, on s’en fout un peu de la couleur et du gout de l’eau tant que ça fait le job… Cette courte pause n’aura même pas duré cinq minutes mais m’a fait du bien au moral.
Je me souviens du topo appris en 2017 qui disait «
Du refuge à ce point [2850m], s'élever de 400 m en 5 km... » autrement dit, c’est quasiment plat ! Alors, c’est reparti pour avancer sur ce long faux plat. Loin de tout, de la foule et de la civilisation, on aurait pu s’attendre à un peu de sauvagitude. Mais c’était sans compter le boucan d’enfer que font les des deux ou trois avions qui tournoient tels des vautours au-dessus de nos têtes. Les versants à notre gauche doivent offrir un joli terrain de jeu pour ces engins et l’apprentissage de l’atterrissage en altitude et sur la neige. Les vrombissements des moteurs s’intensifient ou s’amenuisent à mesure que les avions se rapprochent ou s’éloignent. Nous les regardons faire et spéculons sur l’aire de poser mais les grandes courbes visibles sur la neige au loin ne laissent que peu de doute sur la zone visée.
Le spectacle n’est pas fini mais nous devons avancer. Après quelques glissés de spatules, nous apercevons une mince silhouette qui descend au ralenti. Si c’est un skieur, soit il est aussi nul que moi pour descendre, soit il a encore ses peaux … Allez, je vous le donne en mille, c’est Phil, qui a laissé son sac plus haut et qui redescend nous chercher histoire d’occuper le temps… Il passe devant un couple un peu éberlué de le voir descendre ainsi et arrive à notre hauteur avec un grand sourire. Il lance :
« Je tiens un scoop ! Je sais pourquoi ça s’appelle l’étendard ! c’est à cause de ces grandes étendues blanches. » Il est trop fier de sa trouvaille, le visage illuminé ! Euh… ok… Faut dire, qu’il y en a des choses à penser pendant tout ce temps à patiner sur le plat, il a du bien se creuser les méninges… Parce que pour moi, un étendard est plutôt un drapeau, militaire qui plus est. Je ne suis donc pas convaincue mais Stef trouve cette nouvelle définition très appropriée. Mes comparses n’étant pas belliqueux pour un sou, va pour la nouvelle définition, on dira que c’est du patois de Philippe… Mais il annonce aussi quelque chose qui fait plaisir « Bon, après ça monte ». C’est pas trop tôt !
Mais avant ça, il reste encore quelques centaines de mètres de plat pendant lesquels Philippe se fait porteur. Il récupère mon sac pour m’alléger, un peu ahuri du poids qu’il fait. « Mais t’as mis quoi d’dans pour qu’ça soit aussi lourd ? » qu’il me dit. On repasse devant le couple qui cette fois-ci n’en croit définitivement plus ses yeux et semble bien envieux de mon porteur personnel.