La formule fonctionne ! Alors on prend les mêmes et on recommence : un beau sommet (en Maurienne, ça va de soi), avec des beaux paysages, du dénivelé, de la neige pour brasser histoire de pimenter un peu l’expédition et deux zouaves qui ont envie d’en découdre avec la montagne mais sans trop se fatiguer, juste une p’tite balade sans la corde ni tout le tintouin.... Et puis vous... vous qui lisez mes interminables récits... ou p'tet' pas...
Une nouvelle idée…Au détour d’une conversation sur les courses réalisées en moyenne Maurienne, les choses commencent à se préciser pour des projets futurs :
- Ça serait cool d’aller voler vers les Aiguilles d’Arves, ou par-dessus ! me dit Bruno… C’est qu’il s’enflamme le petit…
- Oué ben tant que tu m’inventes pas un truc du genre Traversée des Aiguilles d’Arves puis déco dans les pierriers, ça me va. Parce que là j’ai vraiment pas le niveau physique et mental pour une telle course, ai-je répondu aussitôt.
- Non, non je disais juste
dans le coin… Au pied des Aiguilles d’Arves, par exemple.
Digression éducative et contemplative A ce stade du récit, je me dois de faire une petite digression sur ces fameuses Aiguilles d’Arves. Elles sont tellement caractéristiques que beaucoup d’entre vous les auront sûrement vu un jour. J’étais même étonnée en me baladant l’an dernier en Chartreuse de me rendre compte qu’elles étaient bien visibles depuis le Charmant Som. Mais quand on y pense, à vol d’oiseau, ce n’est pas si loin (j’ai mesuré sur géoportail elles sont précisément à 50km au sud-est).
Bref, ces Aiguilles d’Arves, ce sont trois pointes qui font très exactement 3364m (Bec nord de l’Aiguille Septentrionale), 3513m (Aiguille centrale) et 3514m (Aiguille Méridionale). La septentrionale, la plus à l’est, est également appelée Tête de Chat. Je vous laisse regarder les photos et vous comprendrez facilement pourquoi ! Tout à côté, une quatrième aiguille, celle de l’Epaisseur fait un peu tache avec ses 3230m. Et surtout, elle n’a rien d’une « aiguille ». C’est une espèce de grosse patate inélégante. J’ai fait quelques recherches sur l’origine du nom sans succès.
Je ne me lassais jamais de contempler ce trio des heures durant, le nez collé à la vitre, lorsqu’avec le copain nous habitions au-dessus de Saint-Michel-de-Maurienne. J’étais tellement subjuguée qu’un jour il m’avait dit « allez, on y va ! », et nous nous étions payé une belle envolée là-bas, sur l’oreille gauche du minou. Hormi le caillou pourri qui parpine dans tous les sens, c'était vraiment chouette...
Lorsque je vais sur un sommet, j’aime essayer de comprendre son histoire. Du coup, je vous en fais profiter même si ça ne vous intéresse peut-être pas... Sur mon site préféré de géologie, j’ai nommé geo-alp, nous pouvons y apprendre que ce massif se situe dans une zone de flysch et que « Les flyschs se forment par avalanches sous-marines de boues et de sables provenant de dépôts de faible profondeur. Chaque séquence correspond à une telle avalanche ("courant de turbidité") qui va plus ou moins loin sur les fonds marins plus profonds, où la pente est faible, et s'y décante (d'où le dépôt dans un ordre décroissant des calibres de grains). On dit donc qu'il s'agit d'une "turbidite". »
J’ai toujours trouvé ça fascinant – et d’autant plus quand on voit ces belles Aiguilles d’Arves – de se dire que ce tas de cailloux provient d’une avalanche (!) qui a eu lieu au fond de la mer il y a des milliers d’années et se retrouve à trôner majestueusement en plein milieu de la vallée. Enfin c’est sûrement beaucoup plus complexe que ça en terme de géologie mais ça donne une idée grossière de la situation. Et c’est à se demander quels trésors recèlent encore les mers et océans et que nous ne verrons certainement jamais…
Bon mais nous, nous n’allons ni à la mer, ni aux Aiguilles d’Arves. Mais juste à côté pour les voir de près et la géologie est sensiblement la même. Nous fermons donc ici cette parenthèse.
Reprise des négociationsSitôt l’idée émise, s’ensuivent des échanges infernaux de photos entre Bruno et moi, lui à ski à la Tête de Chat dans le bien-nommé « Couloir du Miaou », un truc qui fait feuler et dont la côte dépasse tout ce que je n’ai jamais osé regarder sur internet tellement c’est raide, engagé et que ça donne le vertige rien qu’à voir les photos, moi de ma balade au sommet de l’oreille. Ces belles photos réveillent les souvenirs, les jambes commencent à s’impatienter et tout ceci achèvent de nous convaincre qu’il faut aller voler « dans le coin ». Mais tant qu’à faire, ces aiguilles, il vaut mieux les avoir dans le paysage que d’être dedans. Avant qu’il ne propose de faire un truc trop dur, j’attaque :
- Je me suis toujours dit qu’il fallait que j’aille voler depuis la Pointe des Ratissières, c’est juste à côté des Aiguilles. En hiver ça doit être sympa, je l’ai fait deux fois c’est vraiment balade ! En plus, le sommet est une sorte de dôme alors pour le déco, c’est tranquiiiiille !
- Oué ou l’Epaisseur… C’est encore plus près des Aiguilles d’Arves ! argumente-t-il.
- Oué…. Mais ça décolle de là-haut ? Parce que dans mon souvenir, c’est un tas de gros blocs de caillasse… Tu me diras, les deux fois où j’y suis allée on était dans une purée à couper au couteau alors j’ai pas vu grand-chose, ni du paysage, ni des décos potentiels… J’ai bien vu une ou deux sorties sur C2C mais c’était alors bien enneigé, plus facile, moins de cailloux…
- Oui je pense, faudra y aller aux premières neiges, ça sera bien !
Cette conversation a dû avoir lieu aux alentours de septembre alors que d’autres plans étaient déjà en cours d’élaboration. Nous n’étions alors pas pressés de voir les premiers flocons arriver. Mais une fois les projets aboutis, l’impatience de voir le blanc manteau revenir grandit. Cependant, l’automne a joué les prolongations pour notre plus grand bonheur, et nous avons dû nous creuser la tête (pas bien longtemps parce que ça fourmille d’idées là-dedans) pour trouver d’autres balades que vous connaissez déjà, et les premières neiges se sont faites attendre. Un petit retour d’est qui a fait grand bruit dans les media (devaient vraiment rien avoir à dire parce que vu les quantités tombées, y avait pas de quoi en faire les gros titres) a plâtré la Haute Maurienne. Mais 40km à vol d’oiseau plus loin, c’est sec comme en plein désert !
Un créneau se présente, ce vendredi 19 novembre, avec peu de vent en altitude. La tendance est légèrement sud-est ce qui est idéal pour cette grande pente du sommet de l’Epaisseur. Trop impatients d’aller voir ce sommet de plus près et de saisir cette opportunité, nous n’attendrons pas qu’il y ait une couche plus épaisse de neige.
Deux lourdauds à l’Epaisseur Du jour au lendemain, nous nous décidons à y aller. Enfin, j’ai bien failli être seule pour cette expédition mais Bruno a finalement pu se libérer
in extremis. Il a eu vraiment peur que j’y aille sans lui, d’autant plus que c’était son idée ! Il l’aurait eu mauvaise
J’avais vu passer une info sur des essais militaires induisant des restrictions de présence vers le col du Galibier au cours du mois de novembre. Je retrouve l’information et vérifie que le secteur des Aiguilles n’est pas impacté par ces restrictions. Pas envie de me retrouver avec du plomb dans l’aile ! Si la période des essais est bien en cours, la zone concernée est un peu plus à l’est. C’est donc tout bon pour l’Epaisseur et cette info permettra d’expliquer la quantité impressionnante de militaires et de tanks croisés en chemin.
J’ai également regardé les webcams de Valloire et il ne semble pas y avoir beaucoup de neige sur les versants sud. D’ailleurs, le BERA indiquait un risque avalanche de 1. Dans le doute, nous avions tout emmené dans la voiture : raquettes, le trio DVA-pelle-sonde, les crampons… Pour finalement, tout y laisser sauf les crampons, que nous avons embarqué dans le sac, mais vraiment « au cas où ». Nous aurions mieux fait de prendre les maillots de bain pour patauger dans la neige…
En route, j’envoie un sms à mon supérieur hiérarchique au dernier moment pour lui signaler mon absence ce jour. Sa réponse ne m’est parvenue qu’au retour : « OK pas de soucis. J’espère qu’il n’y a rien grave »… Euh dois-je vraiment répondre ? Car à part te dire que je préférais aller m’envoyer en l’air à 3200m plutôt que de bosser, j’ai pas d’autres phrases en réserve… Le message restera donc sans réponse…
Nous arrivons à Bonnenuit (1670m), départ de la rando, à 8h30. Je me rends compte que j’ai oublié ma flotte et nous faisons tous les fonds de bouteilles (d’eau) qui trainent dans la voiture de Bruno pour tenter de remplir la moitié d’une gourde que je fourre dans mon sac. Le temps de boire le café du thermos, répondre au téléphone etc. nous ne démarrons vraiment qu’à 8h45. Nous sommes partis pour 1560m de dénivelé et l’itinéraire se décompose en deux phases : la première partie jusqu’au refuge des Aiguilles d’Arves est plutôt plate (~600m de D+ s’étalant sur 4-5km), la deuxième partie avec les 1000m de D+ restants sur 2km.
Au départ, le chemin est facile et les versants s’éveillent doucement dans la lumière matinale. Le paysage est magnifique avec les belles couleurs d’automne, les ombres allongées et nous apercevons deux des trois Aiguilles d’Arves. C’est déjà du bonheur d’être là ! Nous marchons rapidement sur cette première partie et nous retrouvons vite au soleil. Il fait chaud pour l’heure. Nous faisons de courtes pauses pour enlever au fur et à mesure, les vestes, les bonnets et les pulls. Je regrette d’avoir mis un T-shirt long plutôt qu’un court. J’ai faim, déjà, et j’ai soif, mais j’économise le peu d’eau que j’ai.
Et nous repartons sur le chemin à flanc de versant en direction du refuge des Aiguilles d’Arves. Pour une fois, c’est Bruno qui se colle à faire la conversation. Et c’est qu’il en a des choses à raconter ! Une vraie pipelette à qui il fallait juste laisser un peu d’espace pour s’exprimer !
Nous passons un ruisseau et maintenant, en l’écrivant, je me rends compte que j’ai été stupide de ne pas remplir ma gourde à ce moment-là, mais le poto était trop occupé à papoter et moi à l’écouter. Pour une fois que c’est dans ce sens, il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin.
Nous arrivons au niveau du fameux refuge situé à 2260m d’altitude, non gardé à cette époque et qui semble bien vide. Nous attaquons alors la montée plus raide et rapidement des patchs de neige viennent recouvrir le sentier. Plus nous montons et plus ils se font épais et denses. Vers 2500m environ, ils recouvrent intégralement le chemin et même si nous, nous ne sommes pas bien épais, nous nous enfonçons de plus en plus à chaque pas. Y a comme un air de redite de l’expédition Charbo le mois dernier… ! C’est reparti pour brasser dans la neige et en chier un max, youpiii !!!!
Bruno qui est devant et fait la trace, comme d’hab, apparait et disparait à la verticale à chaque pas. Comme je suis stupide, ou têtue, ou les deux, et qu’à un moment, je me dis que ça a l’air plus facile de marcher 3m plus à gauche plutôt que de continuer à suivre et profiter de la trace qu’il se fait suer à faire, je me décale et joue à mon tour à cache-cache dans la neige. Je me fatigue inutilement mais persévère pour finalement me ranger dans ses pas un peu plus haut.
Ce petit crochet m’a d’ailleurs valu un beau bleu sur le genou puisque, y mettant tout mon cœur pour avancer vers le sommet, j’ai mis le pied entre deux gros blocs avec un peu trop d’énergie. Mais la neige était trompeuse, sa maigre couche cachait habilement un creux entre deux blocs et s’est effondrée au premier contact, me laissant avec la jambe prise entre les deux cailloux. Et je me suis d’ailleurs faite avoir un certain nombre de fois. Mes jambes sont passées par toutes les couleurs la semaine suivante ! Comme c’est charmant…