Des sommets qui s’appellent « le Truc », y en a de partout, en Chartreuse apparemment, en Haute-Savoie pas loin du Mont-Blanc, quelques-uns en Maurienne assurément ! Comme si nos anciens n’avaient pas eu beaucoup d’inspiration pour nommer ces sommets souvent secondaires et que ce « truc-là » ne méritait pas plus d’attention. Le Truc qu’on voit depuis Modane apparaît, dominant la ville, comme le plus haut sommet du coin. Mais vu depuis la maison un peu plus en altitude, ce n’est qu’une maigre bosse entourée de sommets plus pointus et plus hauts. Il aura fallu que Jacques en parle un jour pour que je ne remarque plus que lui et oublie tous les autres autour.
Dimanche 9 mars La veille, Jacques a dit, « Allons au Truc voler demain ». Ça, c’est parce que les conditions ne sont pas supères pour crosser, sinon il irait à Aussois
pour sûr! Je me lève donc ce dimanche, regarde la webcam d’Aussois sur mon téléphone depuis mon lit. Elle semble perdue dans la brume… J’ouvre les volets, même constat… J’appelle Jacques pour prendre la température : il est ultra confiant... Allez comprendre... De chez lui, il aperçoit des trouées de bleu sur le sommet visé et me dis : « ce sont des stratus, ça va partir ! ».
Comme d’habitude, mon pessimisme, lui, ne voit que les nuages dans le ciel qui cachent les sommets. Il a en tête ces journées, lendemains de pluies où la vallée est restée dans les nuages les trois quarts de la journée malgré le beau temps annoncé… Mon optimisme, quant à lui, a tellement envie de grand air qu’il s’en fiche un peu du temps qu’il fait. Enfin, mon physique, avec le matos light, ne se pose pas vraiment la question du portage et envoie les picotements dans les jambes, signe que les sommets le démangent d’aller y voir de plus près.
Nous partons donc à trois de Valfréjus pour 900m de dénivelé, Jacques, Thierry et moi. Nous montons sans nous presser pour laisser le temps aux conditions de s’améliorer. Direction le sommet par un sentier escarpé : 10m, épingle à droite, 10m, épingle à gauche, et on rebelote. Entre chaque épingle, on prend 10m de D+ (bon j’exagère un peu…, peut-être…) Quelques plaques de neige/glace recouvertes d’épines de mélèzes et de sable du sahara, parsèment le chemin, puis prennent de l’ampleur au fur et à mesure que nous montons.
Les arbres se font alors plus rares et l’enneigement devient plus continu. Mais la vue qui devrait nous être offerte dans cet espace dégagé reste masquée derrière un rideau brumeux, les fameux stratus ne semblant pas vouloir partir. Jacques voit encore des trouées dans le blanc et reste optimiste et me dit : « c’est facile, tu décolles, tu restes en visu du sol, tu vas en direction des granges d’Arplane, puis 90° à gauche et t’es en vallée, y aura plus de nuages ! ». Mon pessimisme lui rit au nez. Puis il se met à neiger quelques flocons par-ci par-là. Ma voile en sucre se recroqueville au fond de son sac mais mes jambes continuent à avancer vers le but sommital.
Par moment, on peut apercevoir le sommet muni de sa croix argentée. On s’arrête 100m en-dessous. On y voit de moins en moins. On échange les tee-shirts mouillés par ceux secs emportés dans le sac pour notre plus grand confort. On donne à Monsieur Stratus une trentaine de minutes pour se tirer de là et nous permettre de redescendre en volant. Mais il est capricieux, se joue de nous et s’épaissit pour notre plus grand malheur. Finalement, c’est le but et nous redescendons à pied dans une purée à couper au couteau, dans laquelle seul Jacques semble savoir « à peu près » où nous allons… Et encore ! Thierry et moi nous en remettons à lui. De retour à Modane, on lève les yeux, le sommet du Truc est complètement dégagé, mais ici le vent de vallée souffle à nous rendre fou… quel comble !
Dimanche 21 marsIl a neigé toute la semaine, et je décide d’emmener des amis de passage dans le coin, au Truc en raquettes, itinéraire plutôt safe au regard des prévisions d’avalanches. Frustrée de n’avoir pas vu le paysage la fois précédente, je souhaite prendre ma revanche. Sous cette bonne couche de neige, le paysage apparaît complètement différent. Le sentier est à nouveau blanc de neige, et l’effort n’est pas le même : plus facile avec les cales des raquettes dans la partie raide mais la trace n’étant pas faite sur les derniers 200m de dénivelé, plus dur car je m’enfonce dans cette neige lourde (on est peut-être partis un peu tard…). Arrivés à la croix, la vue magique sur les sommets de la Vanoise et du massif des Encombres nous enchante. Ça aurait sûrement volé ce jour-là. D’ailleurs, le whatsapp du club s’excite, des photos de voiles étalées dans la neige fusent en tous sens et des « joyeux printemps » sont souhaités à tous. Pour nous, ça sera redescente à ski-raquettes, avec pour moi l’envie de revenir voler.
Dimanche 4 avrilJamais deux sans trois. On se met dans le bain des 10km de rayon autour du domicile, et c’est reparti pour le Truc, cette fois avec Jacques et Philippe. Départ à 7h45 de Valfréjus pour profiter du regel nocturne et poser pas trop tard pour être à l’heure pour le déjeuner pascal.
Le vent de nord semble plus fort qu’annoncé. Là-haut les nuages filent. Bon allez, on va plutôt regarder où on met les pieds et on y va, hein ! En deux semaines, l’enneigement a pris une claque. Là où nous chaussions les raquettes deux semaines plus tôt, le chemin est sec. Plus haut, la couche supérieure a fondu et redécouvert le fameux sable orange du désert.
Philippe est le plus chargé de nous tous, mais aussi le plus rapide. A la faveur d’un arrêt pipi, il prend la tête du groupe et tente une échappée. Mais Jacques le connait bien et ne se laisse pas entrainer dans ce rythme infernal. Il garde son pas régulier mais efficace que je suis avec plaisir. 1h30 plus tard, nous revoilà au même endroit qu’il y a un mois, 100m sous le sommet. Le vent en altitude n’a pas faibli. Sur notre face orientée est et ensoleillée, les bouffes de face sont cycliques. Entre les deux, c’est le calme plat.
Ça parait jouable, inutile d’attendre plus longtemps, d’autant qu’avec ce foutu vent du nord, on sait que celui en vallée sera d’autant plus précoce. Il est 9h30 et les voiles sont étalées sur la neige, les pilotes dans leur sellette, prêts au départ. Jacques part, cours longtemps mais ça le fait pas. Il se remet en place plus bas. Philippe va l’aider pour réétaler sa voile. Je me décide à décoller dans un léger face de 5km/h même pas. Même si la SKIN lève facilement et que je pourrai décoller face voile, je préfère y aller dos voile par flemme de courir en arrière dans la neige, et vu comme Jacques a couru longtemps... Mais la voile monte fort et je recule de quelques pas, je contrôle mais comme d’hab, la skin attend au-dessus de la tête la suite des instructions. Je vérifie que tout soit bon, et alors je m’élance. La sortie du déco est plutôt turbulente car nous sommes « un peu » sous le vent. Je me fais pas mal descendre, d’ailleurs j’ai cru que j’allais reposer plus bas (ce qui arriva à Philippe qui devra redécoller après avoir passé pas mal de temps à tricoter avec ses suspentes emmêlées). Mais ça sort et je passe l’arête, et me retrouve enfin dans « la couche de merde » que j’accueille avec bonheur. Une couche de stabilité imperturbable, sans thermiques certes mais où je me trouve beaucoup plus à mon aise que 200m au-dessus à tirer les ficelles dans le bon tempo et qui me permet de profiter de ces 1500m de vide en dessous et du paysage.
Je suis bien habillée avec mes gros gants de ski, quelques épaisseurs portées en vue de ces 12 minutes de vol. Mais ce déco mouvementé m’a collé une bonne suée et je commence à avoir froid. Cela ne m’empêche pas de profiter à fond du paysage. Je fais un tout droit vers l’atterrissage car après m’être fait bien écrasée en sortie de déco, j’ai du mal à évaluer la marge pour rentrer à cet atterro qui me semble si loin. J’ai l’impression de ne pas avancer. A droite, je vois Valfréjus où nous avons laissé la voiture que Jacques remontera chercher dans l’après-midi et dans le fond, les sommets majestueux de la Vanoise. Je me retourne, le Truc est toujours là. Je serai bien allée explorer d’autres recoins mais ça sera pour une prochaine fois. Je passe au-dessus de Fourneaux, puis de Modane. J’arrive en vue du grand champ tout au bout de la ville. Première fois que je le pratique celui-là et je me concentre pour repérer les différents éléments à ne pas manquer dans l’approche (la ligne HT, les arbres, les HLM) qui, vus d’en haut offrent une perspective quelque peu différente. Pas de difficulté apparente et le vent de vallée est encore faiblard. J’observe Jacques, bien au-dessus de moi. Au moins, nous ne nous bousculerons pas pour poser. En bas, les cloches sonnent à la volée sans vouloir s’arrêter, ambiance pascale…
Avec le vent de vallée, il n’y a pas trop de doutes à avoir sur le sens du posé mais j’avais quand même demandé à Jacques de mettre une petite flamme. Il a été sympa et l’a fait tout en rigolant. Il aime bien se moquer un peu de moi et de mes craintes à deux balles. Bon en fait, je l’ai même pas regardé cette flamme. Mais j’étais juste contente de savoir qu’elle y était. C’que j’peux être bête des fois…
Le champ est immense et je fais une approche un peu bizarre, indécise. Alors que je me dis remets-toi face au vent (qui est encore faiblard comme je l’ai déjà dit), je me trouve un peu bas pour amorcer un dernier virage et finalement pose travers pente en évitant les branches à épines qui parsèment le champ et la zone clôturée sur ma droite. Jacques pose une minute après moi comme une fleur. Il confirme que la sortie de déco n’était pas des plus enthousiasmantes mais il est content de m’avoir fait découvrir le coin. Et somme-toute, nous avons bien profité de ce vol. Nous plions les voiles et buvons le café chez lui en patientant. Le petit-fils de Jacques nous a rejoint pour assister au spectacle parapentesque. Nous devrons attendre une heure avant que Philippe et sa Phi n’apparaissent dans le ciel, et ne soit obligés de poser dans un bon 25km/h de vent de vallée. Il est 11h. Apéro-chocolat ? Joyeuses Pâques!
https://www.youtube.com/watch?v=kZEgF6bKiBghttp://www.youtube.com/watch?v=kZEgF6bKiBg