La norme 962-2, qui a semblé un temps scellé l’avenir de la démarche de conception dans le parapente, est bien secouée par les coups portés par la course aux armements, et pas seulement en compétition
Mais la fabrication reste, pour l’instant encore, dans l’ombre
La norme interprète une obligation de résultat : le produit doit aujourd’hui démontrer un haut niveau de sécurité passive et cette exigence est incontournable à l’avenir
La norme définit effectivement au mieux des connaissances actuelles les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour évaluer un produit en terme d’essais de structure et d’essais en vol
Il s’agit là de l’évaluation d’un prototype représentatif d’un produit destiné à être fabriqué en nombre et commercialisé. Mais qu’en est-il de la série ?
Car si réaliser un prototype pour satisfaire les recommandations d’une norme est une chose, fonder une démarche industrielle en est une autre
A la performance du concepteur se substitue alors la performance industrielle
Il ne suffit plus dans ce cas d’être capable de réaliser le produit, mais cette fois de savoir reproduire la performance. Cela implique de savoir tester le produit mais aussi d’avoir la capacité de détecter des écarts sur celui-ci et de résoudre ceux-ci lorsqu’ils sont constatés
Ces écarts peuvent venir des procédés mis en œuvre lors de la fabrication mais aussi des matériaux et des composants industrialisés qui entrent dans cette fabrication
Cette question mérite d’autant plus d’être posée à la lumière de l’accroissement des performances. Dans quelles mesures le produit est-il effectivement conforme au modèle homologué et quelle est l’influence de la dispersion géométrique introduite pendant la fabrication ?
Car les tolérances de fabrication couramment admises il y a dix ans perdurent trop souvent sur les fiches descriptives des produits
Elles ne sont pourtant plus adaptées à la sensibilité du calage d’ailes approchant les neuf de finesse
Par exemple, alors que la tolérance indiquée sur un plan de suspentage est en moyenne de dix millimètres sur sa longueur mesurée sous tension, soit un écart admissible de trente millimètres sur trois étages de ramification, on constate que sur la plus part des voiles de performance une variation de longueur de moins de dix millimètres localisée au « mauvais » endroit peut produire un changement radical de comportement en stabilité spirale ou en tangage
Il faut donc être extrêmement vigilant lorsque l’on remplace le suspentage d’une voile performante : à défaut de disposer d’une suspente fournit par le constructeur, il faut connaître précisément le couple longueur associée à la tension appliquée lors de la mesure pour avoir une chance de reproduire effectivement celle-ci
La délocalisation des moyens de production pose aussi le problème de la pérennité des procédés définis lors de la réalisation de l’exemplaire homologué
De guerre économique lasse, de projets mal tournés en représailles mafieuses aux portes de l’Europe, peu de sites de production y subsistent de fait : plus de 80% de la production mondiale de parapente est concentrée en Asie ou le savoir-faire en place satisfait les principales exigences du marché en terme de qualité de fabrication
Cette situation hégémonique tend à niveler les coûts de production et à geler les procédés
Aujourd’hui, le moteur de l’évolution est plutôt la recherche sur les matériaux et la pérennité de leurs caractéristiques en dépit d’un allégement structural très poussée
Mais si l’on comprend l’intérêt de mieux appréhender leur durée de vie, il serait tout aussi opportun de se poser la même question sur la pérennité des homologations
Je ne parle pas là des refontes que connaissent les textes mais bien des qualités intrinsèques du produit
La question est : un parapente de série homologué à un instant T sous la forme d’un prototype repasserait-il les tests d’homologation avec succès après M mois d’utilisation?
Et bien, il y a de fortes chances que non !
Car les parapentes se présentent comme des aéronefs fiables mais à potentiel bas ou indéterminé
Et il est d’autant plus difficile d’estimer la durée de vie d’une aile que les modes de pratique et de sollicitation différent fortement d’un pratiquant à l’autre : un amateur de voltige comme un pilote inactif ayant stockée sa voile chaude et humide peuvent avoir grillé leur aile en quelques mois alors que certains matériels passent les années sans être rebutés aux contrôles
Car les structures sont souples et déformables
Les contraintes nominales ou accidentelles (accrochage au sol ou brutale réouverture) qu’elles subissent provoquent des fluages irréversibles, le plus souvent faibles localement, mais qui peuvent se cumuler jusqu’à faire dériver son comportement en vol
Et aussi parce que le mode de réalisation des suspentes de parapente majoritairement employé est une aberration, une aberration tant du point de vue mécanique, car il tend à concentrer les contraintes dans les mêmes fibres et que celles-ci fatiguent sous les charges fluctuantes et les chocs répétés, que du point de vue industriel, car il est quasiment impossible de contrôler ces suspentes sans procéder à un essai destructif
Les seuls contrôles qui puissent être mis en place sont donc basés sur le prélèvement et le test d’échantillons, tant pour les approvisionnements (tissus, suspentes en ligne, sangles, etc.) que pour le contrôle fonctionnel final (essai en vol ou le plus souvent simple gonflage au sol) ainsi que le suivi des outils de production (usure des aiguilles et des guides)
Ils n’empêchent pas encore aujourd’hui de constater des écarts importants de durée de vie
Cela conduit les constructeurs à préconiser notamment des remplacements préventifs avec une fréquence qui ne cesse de s’élever alors que les résistances annoncées en essais de structure sont toujours très élevées, voire progressent
Ceci témoigne bien d’un problème industriel qui n’est pas encore bien maîtrisé et de la confusion qui persiste entre résistance initiale et tenue au vieillissement, en particulier à la fatigue
NB : Je vous renvoie à la lecture d’un fil très intéressant sur le dimensionnement des suspentes d’un parapente, et à un florilège d’idées restée jusque là sans fruits publics
http://www.parapentiste.info/forum/ailes-de-performance/u5sup2-aircross-t15364.100.htmlIl serait tout aussi important d’examiner la pérennité d’une homologation à l’ombre de références de produits de base (les fils) qui ne cesseront de naître et de disparaître chez les fabricants de textile, sous la pression du marketing et de la comptabilité analytique…
Nous pouvons heureusement penser que la plus part des fabrications sont plus précises que ce que les tolérances communiquées le suggèrent
Mais par simple logique économique, il apparaît clairement que les procédés mis en œuvre dans l’industrie du parapente ne sont pas très éloignés du juste nécessaire pour assurer une prestation dans les limites de notre pratique courante et du remplacement régulier de notre matériel que les commerciaux appellent de tous leurs vœux !
Il nous faut toutefois être lucides et raisonner dans la limite des investissements qui peuvent être consentis
Lorsque nous recherchons un matériel de coût contenu, léger, peu encombrant et les comportements qui y sont peut être associés, soyons donc réalistes et privilégions donc des matériels de performances raisonnables afin d’avoir une chance de conserver celles-ci quelques temps
Il n’en reste pas moins que nous pouvons légitimement attendre des concepteurs et des fabricants qu’ils progressent encore tant dans les architectures que dans l’emploi des matériaux afin que ces produits soient plus facilement contrôlables par leurs utilisateurs, plus homogènes en résistance et surtout en vieillissement
Mais pour cela il ne faudra pas cesser de leur demander… et en accepter le prix
En premier lieu celui d’être pilote, propriétaire et responsable du contrôle de l’adéquation de son aéronef à sa pratique individuelle
Pour le biplace, c’est une autre histoire…
(edit : pour enlever la version wap2 du lien)