VOLEZ JUSTE !
Nos activités aériennes sont encore trop cloisonnées pour que notre pratique s'enrichisse de l'expérience accumulée par des disciplines plus anciennes.
Pourtant, notre domaine de vol s'élargit sans cesse sur les traces de nos ainés.
Nous suivons aujourd'hui des itinéraires reconnus 30 ans auparavant par nos camarades pilotes de
delta. Et nous reproduisons souvent les mêmes erreurs: options hasardeuses ou inadaptées aux conditions météo.
Le parapentiste, toujours plus équipé dernier cri-technologique, et le libériste jean-tennis-bob délavé et harnais fané se saluent mais communiquent rarement.
C'est, en quelque sorte, un conflit de génération:les anciens, peu consultés, observent, narquois, la fraîcheur des bêtises renouvelées de la génération montante.
Mais au delà même de la valeur de l'expérience, évidente, toutes les activités aéronautiques traditionnelles témoignent d'une motivation éprouvée par les erreurs, les échecs et, malheureusement, les accidents:
la SÉCURITÉ
Beaucoup ont écrit sur le vol, ses techniques ou ses tactiques, en pensant au bonheur partagé.
Certains avaient aussi en mémoire la vision d'un corps brisé ou d'un visage disparu. Le parapente est encore jeune mais compte déjà de (beaucoup trop) nombreuses victimes.
Ouvrons les yeux.: nous ré-inventons les premiers pas de l'aviation légère, avec ses ignorances et ses
craintes, alors qu'un siècle d'aéronautique a déjà forgé des réponses cohérentes et mûries à nos
interrogations.
Et, s'il est une discipline dont aucun acquis ne devrait nous échapper, c'est bien le Vol à Voile.
Peu ont eu la chance d'avoir sous leurs yeux les écrits de A. Blanchard et son ouvrage "Les Pyrénées en planeur".
Il illustre pourtant parfaitement l'intérêt que peut avoir un ouvrage équivalent pour notre discipline.
Il traite de plusieurs aspects du vol de performance, de sa préparation aux choix tactiques, appliquant son propos au massif pyrénéen. Laissant à chacun le choix de ses motivations, il peut encore aider, par sa rigueur et sa méthode, le parapentiste soucieux de progresser à cerner les limites de sa sécurité.
Les lignes suivantes témoignent de cette réflexion, directement inspirée par la lecture..
Elle commence par un constat: la fiabilité et les performances des ailes actuelles témoignent des progrès accomplis par notre discipline, mais elles conduisent facilement un grand nombre d'entre nous vers un engagement pas toujours conscient.
Chacun connaît aujourd'hui dans son entourage un pilote accidenté alors qu'il semblait "inoxydable", breveté et expérimenté. Nul ne se sent réellement à l'abri d'un "pépin", que l'on se résigne à espérer pas trop grave.
Cette prise de conscience a banalisé l'utilisation d'équipements de sécurité: casque (mais oui, certains volaient encore sans il n'y a pas si longtemps!), chaussures adaptées, parachute de secours, protection dorsale.
Mais elle ne doit pas masquer notre incapacité, pour une grande majorité, à gérer de façon active notre sécurité.
Beaucoup plus que le nombre d'heures de vol ou la technique de pilotage, les capacités d'analyse et l'aptitude à prendre des décisions autonomes doivent être reconnues et valorisées comme les meilleurs indicateurs de la maturité d'un pilote.
Qu'il soit occasionnel, certains devant travailler beaucoup pour voler peu, ou compétiteur, balayeur de pelouse, de "touch" en "wagga",
la décision de ne pas sortir la voile du sac reste un des meilleurs témoignage de cette maturité.
Il est temps de nous convaincre que ces aspects du vol, trop souvent ignorés, basés sur la recherche de l'anticipation sur les actions à venir, sont essentiels pour une pratique sure.
Ceci est particulièrement marqué dans les Pyrénées où, une fois sorti du bocal des dynamiques de fond de vallée, la part des décisions est inhabituelle.
Le pilote y est confronté à une aérologie complexifiée à l'extrême par des reliefs denses, où alternent vallées profondes et crêtes arides, baignée par des influences climatiques variées et antagonistes (Cf les articles de Marc BOYER parus dans PM).
Il est contraint à des décisions fréquentes qui l'engagent sur des voies étroites avec des dégagements limités. Il doit identifier constamment les nouvelles conditions rencontrées et y adapter ses intentions de vol avec la préoccupation quasi permanente de sa sécurité, la clé d'un vol performant et fiable.
Mais qu'est-ce que la Sécurité d'un vol?
C'est une très notion très relative, car intimement lié à chaque individu. Il est d'ailleurs heureux qu'il en soit ainsi, car sinon, de nombreuses autorités se seraient fait un devoir de légiférer, nous privant de nombreux espaces de liberté!
Il faut néanmoins, si l'on veut progresser, se hasarder à une définition.
Elle pourrait être une fonction d'éléments qu'un pilote, pas un geek sous une aile, devrait être en mesure d'appréhender clairement à chaque instant:
1- les conditions météorologiques et leur évolution,
2- ses aptitudes, tant physiques que psychologiques, qui peuvent être insidieusement altérées,
3- le niveau de risque choisi pour atteindre les objectifs du vol,
4- les caractéristiques des équipements utilisés.
Un jugement lucide de ces paramètres du vol implique alors d'acquérir un état d'esprit qui bannit toute certitude.
C'est la clé du maintien de notre vigilance, car tout semble bien se dérouler jusqu'à l'accident!
Le moteur de cette attitude est:
LA PRISE DE DÉCISION
Différents types de prise de décision de vol ont été inventoriés et explicités par Michel Bouvet (AVIASPORT, Février 81):
- décision de programme qui fixe la tâche à accomplir et les objectifs poursuivis: but à atteindre, durée du vol...,
- décision de stratégie qui prend en compte le long terme de l'action: axes globaux de cheminement, dégagements, vaches repérées à l'avance, contournement de zones réglementées...,
- décision de tactique qui négocie les situations les plus fréquemment renouvelées au cours du vol: axes de transition, choix d'ascendances, contournement de zones sur fréquentées...,
- décision immédiate d'exploitation technique: vitesse, inclinaison du virage établi, évitement d'obstacle ou d'autres aéronefs...,
- décision "pour voir", accomplie dans le but de recevoir une information à partir des effets obtenus, entre autre quand les indices manquent et que la sécurité du vol n'est pas compromise par cette option,
- décision de sécurité, prioritaire sur toute les précédentes
Cette dernière doit limiter scrupuleusement l'engagement du pilote face à l'incertitude (force de la brise dans les basses couches, arrivée d'un front, dégradation de la visibilité..), ou confronté à un événement inattendu qui n'a pas d'interprétation
immédiate (fermeture importante, descendance ou ascendance anormalement rapide...etc).
Et de lui ordonner le repli vers une zone à l'aérologie comprise et intégrée d'où il pourra rechercher des indices supplémentaires, envisager un contournement ou un changement de plan de vol, ou décider d'abréger le vol vers une zone d'atterrissage connue si sa situation d'"aveugle effectif" persiste.
Ce discours peut paraître "barbant", et je compatis à la douleur du lecteur qui est arrivé jusqu'ici.
...Mais il s'agit, une bonne fois pour toute, de fixer les règles de SON jeu, même si certains doivent rester des "addicts à la roulette russe" !
Lorsque l'on relit les définitions précédentes, la notion de préparation, ou de plan de vol, s'impose d'elle-même.
Car, quelque soit son niveau de pratique, chaque pilote est contraint de répondre par des desseins à court terme au caractère fluctuant du milieu dans lequel il évolue. Toute seconde gagnée durant l'analyse de la situation auquel il est confronté est alors bonne à prendre!
Dans cet état d'esprit, la capacité d'anticipation passe par la référence à des éléments de prévision étayés par l'expérience.
Placé alors dans un état de réceptivité maximale, le pilote pourra se concentrer sur la recherche des indices qui l'orienteront sans hésitation vers l'une ou l'autre de ses options de vol.
Il dispose pour cela de trois sources d'informations:
1- l'observation d'indices perçus dans l'environnement immédiat (bruits dans la voile, sensation de pesanteur, pression sur le visage...), de proximité (autres ailes en vol, oiseaux, mouvements des feuillages, risée sur l'eau...) ou éloigné (aspect du ciel, nuages...),
2- la lecture d'instruments,
3- les informations communiquées (prévisions météo, récits, communications radio...).
Il nous faut les balayer systématiquement, avec méthode et persévérance, pour ne pas rencontrer un réveil brutal: pieds(?) apparaissant sans prévenir sur l'extrados, prise de terrain à marche arrière (??), bisou inattendu aux sapins, voile sous le pilote (?????), etc.
Elles alimentent la réflexion pour fournir l'estimation des
trois indicateurs immédiats nécessaires au pilotage:
A- l'état énergétique de l'aile et du pilote (vario., vitesse sur trajectoire, oscillations) qui suggère les actions immédiates de contrôle de la stabilité de l'ensemble, action réflexes pour les meilleurs,
B- la situation par rapports aux reliefs et aux O.V.N.I.'s, même très éloignés,
C- l'état probable de la masse d'air dans le cône de vol.
Un bon plan de vol, avec des choix nominaux,
et des solutions de repli, indispensables pour décider vite en situation d'urgence, pourra être confronté en permanence aux indicateurs précédents et aux indices relevés dans l'environnement.
Mais
il doit être révisé immédiatement si des contradictions se manifestent : dynamique "aux abonnés absents", position inattendu d'un nuage par rapport au relief, etc.
Le nouveau plan de vol doit être étayé par de nouvelles hypothèses comblant les incertitudes
ou ne pas être !
La réflexion s'articule sur des schémas pré-définis. Les décisions de vol peuvent alors être prises par anticipation, préparant les événements à venir et les alternatives possibles.
Les événements produits deviennent des catalyseurs, une majorité de perceptions pouvant être immédiatement exploitées pour produire des décisions extrêmement rapides.
Cette rapidité permettra au pilote inspiré de disposer d'un bonus de temps et de sérénité pour envisager de défricher une option nouvelle en cohérence avec ses schémas de vol.
Ou bien s'adapter efficacement à la dérive de certains paramètres.
Mais si le doute subsiste, le terrain est définitivement supposé miné, et l'on agit en conséquence, en revenant sur ses pas, si c'est encore possible, et en envisageant de se poser si l'on dispose d'une vache connue. On pourra alors plus sereinement réfléchir au problème posé par l'aérologie avec les fesses par terre !
Mais gardez à l'esprit que
le vol n'est terminé que lorsque la voile est repliée dans son sac.
Les derniers mètres vous rapprochant de votre atterrissage devront être gagnés avec la même application. Ce sont toujours les plus difficiles, la fatigue sapant lucidité et réflexes, la proximité du sol sanctionnant toutes les erreurs.
Alors, si d'autres ailes sont encore en l'air, vous apprécierez la justesse de vos analyses. Et, dans le doute, songez que la distance vous empêche d'entendre leurs pilotes... en appeler leur mère ou à quelques dieu !
En conclusion, quelle plus belle motivation pour les clubs et les associations que ces "briefings" et de-"briefing" où l'on rêve, construit, ambitionne et mûrit, en particulier lorsque la météo. cloue tout le monde au sol?
Car, bien évidemment, ce travail sera plus efficacement conduit à plusieurs: en multipliant argumentations et contradictions devant photos et cartes en relief.
Il fournira peut être la solution à un problème présent, ouvrira la voie de nouveaux enchaînements, et enrichira de toute façon l'expérience de tous ceux qui y auront participé.
L'ambition d'un pilote soucieux de progresser doit donc être de
laisser le "coup par coup", générateur de "chaleurs", au profit du vol articulé et construit, dans l'optique de l'accomplissement d'un programme présentant
un objectif nominal et des solutions de repli en cas de divergence des paramètres du vol avec les prévisions.
Car l'incertitude est irréductible étant donnée la nature même du milieu exploité.
Elle pimente le vol d'un pilote actif et rigoureux, nuance les doutes, tempère les convictions, diluée par la quantités des schémas construits et éprouvés.
La certitude et l'inconscience blesseront ou tueront le pilote passif et insouciant, oscillant sans nuance de l'assurance mal fondée à l'angoisse.
L'échec menace toujours nos plus beaux projets de vols. Mais si le retour au sol est inéluctable, il ne
tient qu'à nous qu'il ne se fasse pas dans la douleur!
Chaque vol, aussi court soit-il, est une performance pour la voile et son pilote. Alors, quelque soit votre niveau et votre engagement,
VOLEZ JUSTE!
En mesurant à chaque instant les progrès accomplis par notre sport, évaluez votre prise de risque et
confrontez-là à vos propres objectifs avec une obsession de vigilance et d'anticipation.
La confiance et la performance viendront alors naturellement de la meilleure compréhension qui en découle, riche d'
une expérience densifiée et mûrie, avant, pendant et après le vol.
PPUJOL pour les AIles du Mourtis (1995)
PS : à un niveau au dessus (le vol de performance) je ne saurais que vous inciter à vous procurer ou à relire le document sur le cross qu'à écrit Luc Armant pour son club qui est une mine de conseils intelligents et pétris d'expérience
L'occasion une fois de plus de constater que le parapente est injuste : nous ne sommes pas tous câblés comme Luc ou Benoît Outters qui a fait en quatre ans un parcours d'expérience qui restera un rêve inaccessible pour la majorité d'entre nous.
Et c'est sans doute mieux pour nous car sans son mental et sa condition physique, nous ne manquerions pas de nous tuer !