paul
Invité
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« Répondre #1 le: 17 Mars 2012 - 18:05:44 » |
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Situation générale: Flux de sud-ouest modéré, 15 à 20 km/h à 3000 mètres, remontant le long d’une dorsale anticyclonique
Voile: APCO Xtra (moins perfo qu'une bonne voile école de 2011!)
Cartes: Pyrénées N°5 au 1/50000 , LUCHON / SUD-COMMINGES
Après une quarantaine de minutes de montée à pied, au départ de l’Ecole de Ski de la station du MOURTIS, mon arrivée sur la crête du Tuc de Pan confirme la présence d’un vent de sud plus musclé que prévu: un petit lenticulaire domine les sommets luchonnais.
Néanmoins, quelques cumulus ne tardent pas à apparaître au dessus de moi avant de se désagréger sous l’effet du vent, au bout de quelques minutes. La convection domine peu à peu dans les versants sud du massif d’Escalas. La brise de pente est hachée par les rentrées de sud et le passage des premiers thermiques: des diables de poussière balayent le décollage.
Je crains un effet de foehn et vais consacrer plus de demi-heure et l’intégralité de mon casse-croûte à observer l’irrégularité de la brise de pente: l’influence de sud ne fait aucun doute.
En effet, passé midi, l’ensemble du massif, qui comprend le Tuc de Pan, les sommet d’Escalas et le Tuc de l’Etang, se trouve habituellement sous l’influence nord, ou nord-est, de la plaine: les brises dominantes se renforcent en fond de vallée et l’advection de l’air de plaine progresse vers la chaîne en coiffant les reliefs dominant le piémont, du Pic du Gar au Cagire, surgissant tout d’abord par le col de Caube, avant de chevaucher les crêtes du Pas de l’âne pour enfin submerger les crêtes d’Escalette.
Mais, aujourd’hui, deux autres indices vont néanmoins m’inciter à décoller. Le premier est constitué par les fumées émises par le site Péchiney situé à l’entrée de la vallée de Luchon: couchées sur les villes de Cierp et de Marignac, elles traduisent la présence, normale à cette heure de la journée, d’une brise de vallée forte et régulière sous la couche d’inversion. Le second est la présence, maintenant persistante, de cumulus vers trois mille mètres: la convection est dominante et devrait me permettre d’assurer un bon plafond avant d’envisager de survoler les zones situées sous le vent et de descendre vers le piémont.
Je me prépare donc à affronter de gros cisaillements et, ne pensant pas pouvoir faire face longtemps au vent de sud, je me prépare à un vol court et agité.
Je contrôle posément ma voile en lui faisant lécher le sol face à moi, pour mieux en inspecter le suspentage et contrôler la vitesse du vent que j’ai jugé fréquentable et lorsqu’une accalmie survient, je gonfle rapidement et décolle sans tarder. Je crains en effet l’arrivée inopinée d’un « dust » et le risque d’une grosse fermeture près du sol. J’y préfère, au pire, un petit point bas pendant lequel je m’échaufferai avant d’attaquer à loisir le prochain cycle thermique, dégagé du relief, ou, au mieux, un engagement après quelques secondes de répit utiles pour assurer la stabilité de l’équipage à une vitesse de vol élevée, vitesse indispensable à l’exécution de manœuvres rapides et précises près du sol.
Le premier round avec le thermique dominant le village d’Argut-Dessus me cueille un peu à froid, mais je persiste sans jugement hâtif car je m’élève rapidement au-dessus du relief. Après une fermeture sèche, j’assure le premier gain en inclinant plus que de raison pour accroître ma vitesse et raidir mon aile en augmentant sa charge dynamique. Bien calé dans le premier gros thermique de la journée, je vérifie la présence amicale de la poignée de mon secours: elle est toujours bien arrimée à un velcro en bon état, bien dégagée de ma sellette car raidie par un morceau de gaine électrique flexible et quelques tours de ruban adhésif plastique rouge!
En observant le sol et la source probable de cette ascendance, une clairière en forme de cuvette en lisière de forêt, je constate que ma dérive est plus faible que prévu: le vent météo est bien présent mais sa dérive est atténuée par ma vitesse de montée qui redresse l’ascendance. Je veille particulièrement à ne pas me laisser dériver sous le thermique et utilise l’accélérateur pour me replacer au vent et manœuvrer plus vivement.
Après cette première demi heure de vol, je bouchonne à proximité du nuage surplombant les versants sud de la station du Mourtis. Les cisaillements de passage sont vigoureux et difficiles à amortir: entre chaque colonne thermique, l’aile perd des appuis aérodynamiques, déventée par les ascendances plus au vent. Je pressens que je vais être bloqué à la sortie du système thermique qui domine le massif d’Escalas.
Afin de vérifier cette prédiction et de mieux apprécier ce vent météo, j’entame la traversée de la vallée en direction de la crête frontière de Sacaube, mon cheminement le plus familier en direction du Luchonnais quand le plafond dépasse les 2600 mètres au dessus du Mourtis.
Après les derniers thermiques issus de la combe ensoleillée dominant de Fos, mes points de repère habituels remontent rapidement vers moi car je dégringole à guère plus de trois de finesse face à plus de 20 km/h de sud et survole le village à guère plus de 2000 mètres... demi-tour et changement d'axe de cross!
Vent de dos, je suis rapidement de retour sur le col d’Espone au dessus duquel je trouve un thermique puissant que je suivrai jusqu’au plafond.
En obliquant vers le Tuc de l’Etang, je contourne les turbulences des thermiques de Pan avant de me laisser dériver en direction du Cagire, au gré des ascendances rencontrées. Parvenu à 2800 mètres d’altitude au dessus de la cabane de Larreix, sur le versant est d’Escalette, je pars en transition vers Paloumère et Arbas.
Mais à mesure que je perds de l’altitude et me rapproche des forêts dominant le col de Portet d’Aspet, je suis sensiblement contré par une influence sud-est. Je chemine maintenant en crête, en direction du sommet de Cornudère, avec comme axe de dégagement en vu en contrebas le hameau d’Escarchein.
La progression est difficile: j’alterne bouts droits accéléré au premier barreau à plus de 40 km/h sur les versants sud, et ovalisations dans les plus forts des thermiques rencontrés, mais néanmoins très couchés, dérivant en direction de Paloumère jusqu’à l’aplomb des versants nord.
Je vole aux limites de stabilité de l’équipage et ne vais pas tarder à être sanctionné: je parviens à peine à contrôler une puissante abattée en sortie de thermique, heureusement tempérée par une belle fermeture frontale, qui me fais perdre une cinquantaine de mètres.
Accélérateur toujours enfoncé, c’est avec inquiétude que je dépasse Cornudère avant d’entamer ma descente en crabe vers Arbas: je me prépare à de forts cisaillements entre la rentrée de sud-est et le passage de l’inversion.
Ils seront heureusement plus faibles que ceux déjà rencontrés et je survole maintenant plus détendu le Montagnat dominant Arbas.
A l’heure du café, l’activité des locaux s’est arrêtée et je ne dispose d’aucun indice m’incitant à poursuivre. J’entame donc une série de manœuvres pour me rapprocher de l’atterrissage officiel que je survole à moins de deux cent mètres en dérivant vers le Mail de Bourusse.
Le paysage oscille doucement; je me maintiens face au vent, bercé par la convection. De temps en temps, le passage discret d’un thermique agite un peu ma voile. Le temps semble s’arrêter lorsqu’elle abat souplement avant de reprendre de la vitesse: une ascendance plus consistante dévente la pente en s’épanouissant devant moi.
J’enfonce l’accélérateur, progressant dans une descendance qui m’encourage à poursuivre. La voile ressource et j’accentue un instant ma pression sur le barreau pour rétablir mon assiette et maintenir ma vitesse. Avant que le vario ne confirme le léger coup de pied aux fesses que je viens de ressentir, j’incline vivement.
Par jeu, et pour évaluer les qualités de vol de ma récente acquisition en petites conditions, je m’accroche bec et ongles à l’ascendance, m’efforçant de corriger les écarts de la voile avec des gestes doux, me laissant dériver à chaque fléchissement du vario, noyautant en accélérant face à la brise au passage d’une bulle plus consistante. La remontée est interminable: à peine plus d’un demi mètre par seconde, intégré sur 15 secondes. Et lorsque je dépasse le niveau du décollage du Planot, je n’ose toujours pas changer de sens de rotation, par crainte que ce thermique ne m’échappe.
Toujours en appui sur la même main qui commence à s’engourdir, et évoluant sur un plan de montée guère supérieur à ma finesse, je persiste, songeant à maintenant à raccourcir ma récupération en descendant vers un atterrissage connu à sortie ouest du village de Milhas. Une dizaine d’hirondelles m’entraînent en virevoltant au delà au delà du Col de Hougas. Quelques thermiques hachés rencontrés dans le vallon nord ouest de Paloumère me permettent de m’avancer plus sereinement en direction du pylone du relais du Picon. Lorsqu’ils s’évanouissent, je plonge rapidement sur le Bois de la Côte, dominant Juzet d’Izaut.
Un thermique doux, glissant quelques dizaines de mètres au-dessus des arbres me laisse entrevoir la possibilité de rejoindre le sommet du Cagire. Il me dépose au pied de son arête nord-ouest où j'entame une montée laborieuse, m’efforçant de composer au mieux entre la brise de pente et les thermiques de passage, croisant plus en avant du relief, toujours annoncés par l’affaiblissement de l’ascendance de pente.
Moins de cent cinquante mètres sous la croix coiffant le sommet, l’air devient plus turbulent et je songe un instant à m’engager sur le versant est pour bénéficier d’une brise de pente dopée par la rentrée de sud-est constatée il a un peu plus d’une heure sur le Portet d’Aspet. Je commence en effet à projeter un retour sur Pan, malgré le vent météo contraire, car en ces lieux je suis à deux pas de mon jardin et dispose de quelques jokers, tant en vaches de poche qu’en thermiques de chapeau!
Mais je crains aussi que cette même influence n’avorte l’activité thermique dans les combes est du massif d’Escalette, m’interdisant le gain préalable au franchissement du Col de Menté en montgolfière. Je parie sur la force du microclimat que génère les falaises du versant ouest des crêtes de Pique-Poque, au-dessus de l’ancien décollage delta du massif du Cagire, dont l’accès est interdit depuis une dizaine d’années.
Après avoir traversé le versant nord, je débouche effectivement dans une pelouse surchauffée, abritée des brises et du vent météo: je suis immédiatement happé par un violent plus sept qui nécessite une utilisation intensive de l’accélérateur pour contrer d’impressionnants cabrés face à la plaine: je grimpe rapidement dans une ascendance confluant avec les brises de pente issues des versants sud-est du Pas de l’Ane. Elle devient plus homogène et, parvenu à deux mille quatre, une cinquantaine de mètres sous la base du nuage, je peux maintenant observer le plafond dominant le Tuc de Pan: il a perdu plus de cinq cent mètres mais déborde de santé, mettant une bonne partie du Mourtis à l’ombre!
Je doute lorsque je dépasse Escalette en entamant une dégringolade bien agitée en direction de la Forêt de la Seube.
Je cherche à me rassurer: le bon point est que l’instabilité de la masse d’air atténue l’influence du vent météo, mais son revers est le rodéo à venir si je persiste, annoncé à grands renforts de turbulences, de plus en plus sèches. Ayant dépassé l’axe du Col de Menté au niveau du bas des remontées mécaniques, je maintiens mon altitude difficilement, résolu à dégager immédiatement vers Boutx en cas de problème, mais pas totalement convaincu de pouvoir y parvenir: si ce problème est une grosse fermeture, il ne me restera alors que quelques clairières à champignons entourées de beaux hêtres (?…non,..je ne l’ai pas dit).
Moyennant à zéro, entre la brise montant de Boutx, les brises descendant du col, l’échange entre la plaine et la montagne coiffant Escalette, l’influence, toujours probable, d’un météo pouvant bousculer la couche d’inversion, et l’instabilité de la masse d’air, je zigzague en cahotant entre la route du col et les près du Boutas. Je survole des clairières abritées qui ont été bien ensoleillées durant la matinée: je perçois par moment la chaleur des bulles qui les coiffent, entre deux remontée d’adrénaline accompagnées de mes bouts d’aile.
Une vague confluence, assez turbulente, me permet de me laisser dériver vers les sources de Pan, en versant nord de mon décollage du matin, quand une mine, s’est à peu près l’impression ressentie, m’explose à la figure: sortie par le haut OBLIGATOIRE!
Je pars en vrac en direction du ciel malgré une mise en virage digne d’un manège de foire. Au premier ralentissement de la fusée, et sans attendre l’allumage d’un second étage, je m’éjecte vers 2200 mètres et plonge immédiatement, aux oreilles et accéléré, vers la plaine de Fos.
Arrivé à la verticale du lit de la Garonne avec encore mille quatre cents mètres de trop, mètres, je vais m’employer à les consommer par de longues séries de vrilles exécutés avec application jusqu’à l’approche du sol, avant d’atterrir dans la brise de vallée.
Lorsque mes pieds retrouvent la terre, les nuages surplombant les crêtes du Burat et du Baccanère bourgeonnent généreusement et formeront congestus en soirée.
Bilan:
Je garde aujourd’hui de ce vol modeste en performance, trois heures pour moins de quarante kilomètres, le souvenir d’une aventure intense, alternant passages lents, réclamant patience, douceur et persévérance, avec des phénomènes aérologiques violents nécessitant, à mon niveau, un gros engagement, tant psychique que physique, mais librement consenti, sans autre contrainte que l’enjeu que je voulais bien y mettre.
Mais plus que cela, c’est la complexité des masses d’air rencontrées à la frontière des influences de la plaine et de la montagne qui m’aura marqué: j’y ai discerné au moins cinq situations aérologiques différentes qui n’ont sans doute jamais cessé d’évoluer sous l’action du vent météo dominant en sud-ouest, d’un retour probable de sud-est sensible sous 2200 mètres, d'un échange plaine-montagne puissant générant des brises aux orientations complexes et d’une nette instabilité de la masse d’air.
Ces changements ont stimulé ma réflexion durant tout le vol.
Ils m’ont invité sans cesse à réviser mes interprétations et mes projections: en m’efforçant de toujours superposer mentalement à ma vision des reliefs des schémas virtuels représentant l’aérologie des zones vers lesquelles je me dirigeais, je me suis toujours donné une chance de pouvoir anticiper les difficultés à venir, superposant dans mon imaginaire une visualisation tête haute de ma route, de mes objectifs... et des menaces en projection sur le panorama environnant.
La recherche permanente de solutions, étayée par la corrélation fréquente de mes analyses avec mes sensations et l’observation d’indices tels que formes des nuages et vols d’oiseaux, m’ont permis d’y adapter mon plan de vol, m’encourageant à persévérer et à m’engager dans une aérologie complexe et violente, particulièrement en fin de parcours.
Son déroulement traduit la vision partielle que j’avais des situations rencontrées, et la façon dont je pensais pouvoir les exploiter pour cheminer sur des axes connus, avec un matériel adapté et éprouvé <aux performances somme toute modestes... mais bien suffisantes ici> tout en m’efforçant de rester lucide sur mes capacités.
Il est néanmoins certain que la meilleure décision de la journée fut celle d’abréger la fin de ce vol avant que les éléments déchaînés de me guérissent d’un comportement aussi présomptueux!
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