Voici l’histoire d’un vol rando magnifique avec un sommet à 4000. (4015 pour être précis).
Quelques chiffres et repères avant le récit.
Le déco « normal » est donc sous le sommet du dôme des Ecrins environ à 3 970 mètres.
Ça le fait en théorie de NO à NE mais le mieux, je pense, est un NE ou un N. En NO, c’est travers et c’est tout de même perturbé par l’arête qui descend vers le col des écrins
L’atéro est au pré de Mme Carle (soit dans le pré au bout du parking soit sur l’espace entre la route et le ruisseau avant le parking), à 1875 m (terminus de la route) mais on peut aller poser plus loin dans la vallée en direction de Vallouise.
En deux jours, avec une nuit en refuge, ça donne ça :
Premier jour : Montée du pré de Mme Carle au refuge des Ecrins à 3 175 m, soit un dénivelé de 1 300 m avec crampons éventuellement nécessaires sur les derniers 300 mètres de dénivelés.
Deuxième jour : Montée du refuge (en redescendant d’abord sur le glacier à 3 100 environ) au dôme à 4 015 soit 915 m de dénivelé avec piolet et crampons obligatoires au moins sur les 600 derniers mètres de dénivelés.
Le récit :
L’idée du vol a germé je ne sais où et je ne sais quand; sans doute lors d’une discussion autour d’une cervoise alors qu’on causait montagne et vol rando avec Pierre, Steph, Gerard….
En fonction des plannings des uns et des autres, le we du 23 et 24 aout nous semblait un bon créneau, il ne restait plus que le petit détail, si on peut dire, d’avoir la bonne météo ce we là !
Entre temps, Pierre ayant eu un léger différent avec la planète (et à la surprise de tout le monde, la planète a gagné par 1 épaule et 1 poignet à zéro), les partants possibles étaient Steph, Gerard, Michel, Alain, Myriam et moi.
La météo (la force du vent surtout) nous a obligé à décaler au dernier moment d’un jour et au final, Myriam et Alain ont du nous abandonner sur le pré (de Mme Carle) à défier le dôme.
Pierre de son lit de souffrance nous avait (surtout à Stéphane en fait qui de part son expérience de la haute montagne et du lieu se retrouvait un peu le guide de l’expédition) prodiguer une foule de conseils psychologiques, physiologiques ou techniques.
Il a donc passé du temps à étudier la chose et à mis tout son cœur pour nous donner des informations précieuses : " Pour l’itinéraire, ne passer par l’épaule de droite, la neige y est souvent plâtrée, ça ne vaut pas un clou (ni même deux) "
Franchement, un tel dévouement à la réussite de notre expédition, c’était poignet…….heu je voulais dire poignant !!
Nous voilà donc, en ce dimanche matin vers 10 H 30 au pré de Mme Carle. On repère un peu l’atéro ou les atéros possibles (que l’on verra beaucoup mieux en fait d’en haut sur la première partie du sentier), on enfile les chaussures, on vérifie une dernière fois le matos et on s’élance aux alentours des 11 h avec nos sacs dont le poids doit se situer vers les 14 kg.
Le but est d’arriver au refuge des Ecrins avant 18 h (heure du diner) et surtout sans s’entamer physiquement pour être en forme pour le lendemain.
Donc, 7 h devant nous pour faire les 1300 m de dénivelé, c’est très très confortable surtout pour Michel qui d’habitude avale ce dénivelé en à peine plus d’une heure……
On part donc, Gérard en tête, Michel avec le frein à main, Steph tranquilou et moi qui essaie de faire qq photos.
Gérard qui semble dopé par les bottes de sept lieux (Chaussures de très haute montagne et d’expédition polaires) que lui a prêté Steph part sur un tempo qui semble un peu rapide à Steph ;
On ralentit donc et du coup la plupart des promeneurs du dimanche nous doublent et nous avons du temps pour bien repérer et choisir notre atéro du lendemain ; finalement on opte pour une zone dégagée vers le ruisseau alors que le fameux pré de Mme Carle se situe près des sapins.
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239295497363246034Au bout de deux heures de montée bien sympathique, nous arrivons à 2550 m au refuge du glacier blanc ou nous faisons une pose casse-croute d’une bonne demi-heure. Michel a beau monter très très doucement pour son rythme habituel, il n’en a pas moins faim et 3 sandwiches y passent !!
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239297742802970610Vers 13 H 30 nous reprenons la montée ; les promeneurs du dimanche ne sont plus là et pendant un bon moment, la progression sur la moraine du glacier n’est pas très agréable, c’est raide et c’est caillasse et terre.
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239298905542472178Enfin, le sentier rejoint le glacier et il est temps de chausser les crampons afin de se mettre en conditions pour le lendemain.
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#52392998107114626261 petite heure après, nous arrivons vers 3 100 ou il est temps de déchausser pour se taper le petit raidillon de caillasse qui rejoint le refuge à 3 175 m. Gerard nous montre qu’il est encore en forme et jamais l’expression « en garder sous le pied » n’avait autant pris tout son sens : Ce n’est pas assez dur, donc je prends du lest !
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239300361272451234Je fais quelques photos ou on voit bien le programme du lendemain :
En haut :
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239300527753008178En bas :
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239300776649928258Vers 16 H 30 nous arrivons au refuge au même moment ou un planeur surgit de nulle part nous fait une démonstration…….époustouflante : Plongée sur la tranche au dessus du refuge, passage sur le plat du glacier à 30 ( ?) mètres sol et énorme ressource de l’autre coté pour sortir du relief. A mon avis, le pilote est un cador !!
Le gardien du refuge nous accueille et nous demande ou nous allons le lendemain ce qui lui permet de nous dire que le réveil sera à 3 H 30 et que vers 18 H il pourra nous donner les prévisions météo.
On s’organise un peu et on sort sur le promontoire qui domine le glacier prendre les derniers rayons de soleil et on rentre pour le repas vers 18 H. Au menu, soupe, diot et riz, fromage et dessert, c’est bon mais pas énormément copieux. On prend même un quart de rouge en pichet et là franchement ça envoie du gros !! Comment dire…….du sable dissous dans du vinaigre ? du Destop dilué ? Ça râpe, ça pique, on dirait la fameuse boisson des Tontons Flingueurs. Michel, qui s’est abstenu sur le coup est écroulé de rire en voyant nos têtes !
Le repas fini, il est temps de payer et de prendre la météo, Laurent Vernet, le gardien du refuge nous annonce 20 km/h de NO à 4000 avec une température de – 5 °C pour le lendemain. C’est conforme à ce que l’on avait vu et c’est plutôt pas mal.
En discutant avec lui, on apprend qu’il est ancien parapentiste (pas de vol depuis 12 ans) mais qu’il a fait parti des pionniers; c’est sans doute lui le premier qui a décollé du dôme, à l’époque, avec une 7 caissons à 2,5 de finesse alors que ses connaissances aérologiques de l’époque se résumaient en trois mots : « cours, cours, cours « !
A force de s’être fait plusieurs fois peur (faut dire que le garçon partait à la chasse avec son parapente et descendait avec lui en vol les chamois !) il a stoppé l’activité mais on sent bien la passion dans chacun de ses mots……….il va bientôt reprendre.
Il est 20 h, il est temps de préparer les affaires pour le lendemain et d’aller au lit. Les dortoirs sont très bien, couvertures et oreiller, c’est propre, boules quies………..je dors. Je dors tellement que je n’entends pas le réveil et que c’est Steph qui me secoue…..je me redresse et je vois une chambrée de zombie hirsute et je me demande quelques secondes ou je suis et ce que je fais là ????
Petit dej, habillage, frontale et nous voila parti dans la nuit, d’abord qq instants dans la descente en caillasse qui rejoint le glacier puis après cramponnage et encordage sur le glacier lui-même.
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239300776649928258La marche sur le glacier à la lueur des frontales se fait dans une ambiance surréaliste ; c’est à la bois beau, impressionnant et l’instant est plein de sérénité.
Au bout de 45 minutes environ nous attaquons le dur : La pente se relève, la trace a été pulvérisée récemment par une avalanche de séracs, l’altitude est là ; heureusement Steph prend un rythme idéal.
Vers 3 500 m, le jour est levé, on fait une pose Grany et un point météo ; ça semble correct mais des barbules qui rentrent sur le sommet nous inquiètent………
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239301934242411330http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239302196714971954Après une partie moins difficile, nous attaquons la pente finale, c’est raide et ça fait mal mais on ne s’en sort pas trop mal car on double même une cordée et un solitaire qui sont partis trop vite et qui ont du mal à supporter les effets de l’altitude qui se font de plus en plus sentir.
Enfin, nous longeons le bas de la barre, le soleil qui jusqu’à présent jouait avec les nuages vient de partir pour de bon, nous faisons le petit raidillon en neige et glace qui monte au dôme et voilà, nous y sommes, à 4015 m. La vue doit être superbe d’ici, mais là, nous avons juste le temps d’apercevoir quelques fantômes de sommets au loin et tout se ferme, rideau pour aujourd’hui !
On ne s’éternise pas, il ne fait vraiment pas chaud et on y voit à 30 mètres maxi ; on se retrouve donc juste au dessus de la zone de décollage ou ce n’est pas mieux sauf qu’il y a des créneaux presque de face sur la zone qui se trouve entre la brèche Lory et le début de l’arête.
On reste là, un peu sonné quelques minutes, à se dire qu’on vient de se faire avoir pour une heure. Que faire ? Attendre et se geler en attendant une éclaircie avec le risque de redescendre du glacier aux pires heures de la journée ?
A un moment, la purée de pois est moins dense mais ce que l’on voit en plus ne nous incite pas à l’optimisme.
On se donne 10 minutes pour prendre une décision et finalement on opte pour tenter de trouver un décollage plus bas.
On descend donc et rapidement on sort un peu de la crasse, l’espoir de pouvoir décoller renait sauf que le terrain ne s’y prête pas du tout, c’est à la fois beaucoup trop pentu et beaucoup trop travers pour avoir une chance de faire un truc un minimum safe. Une petite combe à quelques encablures m’inspire presque mais une fois sur place, on constate que ce n’est pas vraiment jouable à moins de prendre de gros risques. (Point d’interrogation sur la photo) Ça sent de plus en plus le pâté notre affaire car encore 200 mètres de descente et on n’aura surement plus la finesse nécessaire pour passer le grand plat du glacier avant la plongée dans la vallée.
On descend encore un peu et on arrive sur un espace, au pied d’un petit sérac ou la pente est légèrement moins importante sur une grosse dizaine de mètre mais ou le vent rentre quand même bien travers. On est environ à 3800 et d’après nos estimations, ça passe encore en finesse…….
http://picasaweb.google.fr/Gillescha38/DomeDesEcrins/photo?authkey=ueg2gKt3ksY#5239301239167520258A première vue, faut en vouloir pour se dire que le coin est un déco parapente mais une fois les points clés posés, possibilité de gonfler la voile grâce à une bonne alimentation même travers, espace suffisant pour redresser et se mettre dans le sens de la pente, et possibilité de s’arrêter ( avec les crampons ) avant la « vraie » pente, on se concerte et on décide d’y aller.
Comme convenu au départ, je suis fusible, Michel et Gerard iront ensuite et Steph fermera la marche (le plus expérimenté en cas de redescente à pied) et aura encore « la chance » de devoir décoller sans assistance et copain pour l’aider ou l’informer d’un bug pendant la phase de déco. Promis Steph, la prochaine fois, je m’y colle !
Me voilà donc à étaler et à préparer et je n’ai même pas besoin des petits bouts de bois (un jour, quelqu’un trouvera là un minuscule « fagot « de bois et se posera sans doute quelques questions) que j’avais méticuleusement recueilli durant la montée pour fixer la voile sur la neige pour l’éviter de glisser ; je demande juste à Michel de me tenir le stabilo au vent pour éviter que la voile glisse sur le coté.
Un peu de stress, mais du bon stress, celui qui permet d’être concentré et serein. Je me mets face voile et tourne le visage face au vent qui vient de travers droit, c’est un peu fort, la dragonne d’un bâton planté dans la neige me le confirme, j’attends donc un peu…….20 ou 30 secondes environ, ça baisse, la dragonne se calme, c’est le moment, la voile se lève, tranquillement, et se tourne face au vent, un petit contrôle, je me tourne et commence à emmener la voile dans la pente, ça se passe super et je décide que c’est bon…..trois grandes enjambées et c’est parti, je me fais le petit plaisir de laisser les pointes avant de mes crampons griffer la neige…….je suis en l’air et dans un autre monde……les séracs, les cordées sur la trace, l’immensité du glacier blanc sous les pieds et devant moi…..c’est vraiment beau et magique.
J’ai opté pour la trace la plus courte pour franchir le plat du glacier et je vole donc en « rive droite », c’est une succession de pics, d’arrêtes, de couloirs ; j’en prends plein les yeux.
Je vois à quelques centaines de mètres la ligne de rupture de pente du glacier il faut que je passe ça car sinon, je devrais poser sur le glacier et si je pousse vraiment trop loin le bouchon je risque de poser au niveau ou naissent les grosses crevasses….ça craint vraiment ! Finalement, ça passe, nos calculs étaient bons mais il ne faut sans doute pas décoller plus bas……je profite du vol pleinement, je survole le refuge du glacier blanc et part en direction du pré de Mme Carle en rasant à quelques mètres les grandes pentes d’herbes et de roches……
Allez, il faut redescendre sur terre, au propre comme au figuré et pour ça il faut enlever les crampons. (et les jeter à qq mêtres du sol avant de poser).
Me voilà au sol, je positionne ma voile pour indiquer au suivant le sens du posé…..j’inspecte le ciel à la recherche d’une voile ; que se passe t-il là haut ? Le nuage est –il finalement redescendu ? Vont-ils pouvoir décoller ?
Finalement je vois arriver la Delite de Michel ( qui nous montre qu’il est possible de poser en crampons ) et quelques instants plus tard l’ultralite de Gerard ; ils ont décollé sous la bienveillance de Steph ; mais Steph ??
Et bien la méthode Steph : Une « pelle » de neige sur le stabilo au vent, la technique et l’engagement qui vont bien et il arrive; il se permet le luxe de faire un petit coucou au gardien du refuge des Ecrins (qui apparemment nous veillait) et de faire quelques tours dans un thermique au dessus du refuge du glacier blanc.
Nous voilà tous les quatre au sol, tous simplement heureux comme des enfants à Noël……..sauf que nous, on a volé à coté du traineau du père Noël……
Que dire ? Rien, si ce n’est que ce fut une superbe sortie conclue par un vol magique avec la petite dose d’imprévue pour pimenter le tout et avec de sacré bons copains.
C’est sur qu’il faudra le refaire, pour décoller du sommet et surtout parce que Pierre aurait du y être et que j’imagine la frustration que cela a été pour lui de ne pas avoir pu nous accompagner.
Merci à Steph pour ses conseils et ses connaissances, merci à Gerard pour sa bonne humeur et sa gentillesse, merci à Michel pour avoir supporté notre train de sénateur.