Il y a des vols qui vous fâchent avec le parapente. Par exemple, le tas de 2 minutes que j’ai fait Vendredi 13 après être monté à pieds à mi-pente aux Mauroux, tandis que j’entendais à la radio Alain Laclotte, parti du Puigmal, se faire allègrement des plafs à 3300 et un beau cross à la clé.
Heureusement, il y a aussi des vols, pas forcément les plus longs ou ceux qui vous font aller le plus loin, qui vous réconcilient avec le parapente. Le lendemain, Samedi, en début d’après-midi, j’ai rendez-vous avec Kim et Serge, le président des Ailes Cerdanes, qui me fait découvrir le site de Cérèjes.
Ce site, à coté de Llivia, ressemble à un déco de plaine, à un peu moins de 150m d’altitude par rapport à l’atterro, et donne sur le plateau de Cerdagne. Un thermique vient s’y coucher et permet de sortir lorsqu’on arrive à le chopper, ce qui n’est pas une mince affaire, du moins pour moi !
Il me faudra trois essais pour y arriver. A chaque tentative avortée, gentiment, Serge nous remonte, Kim (qui a du mal à s’installer dans une sellette qui n’est pas la sienne, et donc à pouvoir piloter) et moi. La récup est très rapide (même pas 5 minutes), car on se pose sur un replat de la pente à coté de la route à environ 100m de dénivelé du déco, et Serge arrive dès que l’un est posé, et guette l’autre. Voiles en bouchons dans le coffre, nous remontons.
Une fois que j’ai compris que le thermique décalait vers l’Est, je n’ai eu qu’à me laisser dériver dans cette direction pour rester dedans. A mon passage, au ras des cimes de la petite forêt clairsemée à droite du déco, trois biches détalent, me montrant ostensiblement leurs postérieurs. J’essaie quand même de rester concentré pour ne pas perdre le thermique, et commence à prendre un peu de gain, sous les encouragements bienveillants de Serge à la radio. Ca y est, je suis au dessus du relief, dans le thermique : je le tiens, je ne le lâche plus !
Les vingt minutes qui suivent sont un pur moment de bonheur : je reste dans le même thermique, et celui-ci, dans sa grande mansuétude et sans discontinuer, me propulse 2100m plus haut ! Et pas de danger de le perdre, il est super large, et balisé par une douzaine de vautours majestueux qui volent à coté de moi. Les pilotes locaux y sont habitués, mais pour moi, c’est une rencontre intense. L’un d’entre eux allant même jusqu’à enrouler en miroir avec moi, en tournant la tête vers moi pour me regarder dans les yeux, et comme pour me dire « Bienvenu dans notre terrain de jeu, mon pote ! ».
Au plaf, à 3500 (nouveau record perso d’altitude !), le panorama est grandiose, j’ai une vue à 360º sur toutes les Pyrénées encore bien recouverts de neige, et quasiment à mes pieds, je vois les lacs des Bouillouses et des Camporells tous gelés et tous blancs ; pour parfaire ce spectacle, les vautours sont encore à mes cotés.
Je jubile, et laisse exploser ma joie à la radio. Les autres ont tenté de décoller, mais des quatre volatiles à chiffons présents sur le déco, je serai hélas le seul à avoir pu m’extraire.
Me voilà donc au plaf, mais à partir de là, que faire ? Me laisser décaler par le thermiques jusqu’aux Mauroux, comme l’a suggéré Serge ? En fait, le thermique ne décale pas tant que ça, et je suis encore assez à la verticale du déco. Je décide d’aller faire une balise au dessus d’Estavar, et pourquoi pas, pousser jusqu’à la maison, à Bajande ?
Sorti du thermique, je comprends ma douleur : ça dégueule de partout ! Je me contenterai donc d’un passage expéditif au dessus d’Estavar, avec un retour rapide vers le thermique du déco, pour reprendre les 500m de gaz que m’auront coûté cette courte incursion. Je décide donc de m’avancer en vallée, face au léger vent d’ouest dominant. Rebelote, re-dégueulante jusqu’au prochain thermique, on ne peut plus facile à trouver car de sa base s’échappe une fumée blanche provoquée par un feu de bois, peut-être lui-même source de ce thermique qui sent bon le feu de cheminée, dans lequel je croise encore une fois mes nouveaux amis les vautours.
A nouveau à 3500, je m’avance lentement (bien qu’appuyant légèrement sur l’accélérateur) mais sûrement et cette fois sans perdre trop d’altitude, jusqu’au dessus du lac de Puigcerda, où, l’été, j’emmène mes jeunes enfants s’amuser. A la radio, Kim m’annonce qu’au déco le Nord commence à rentrer fort et qu’il faudra donc faire attention pour y reposer. Fort de ce conseil, je fais un plein jusqu’au plaf, et décide de faire feu au Sud-est, vers Osséja, pour y faire une dernière (le froid aidant) balise, et tenter un petit triangle. En survolant Bourg-Madame, la dégeulante est revenue. Serge m’expliquera qu’elle est due au Nord, qui favorise l’instabilité, donc les gros thermiques, mais aussi, revers forcé de la médaille, les fortes descendances. Au premier barreau, je maintiens mon cap, mais les quelques kilomètres pour faire la transition me coûtent mille mètres de gaz ! A Osséja, le ciel est bouché, j’espère trouver une ascendance sous le nuage, mais ca tire un peu trop alors, je préfère ne pas tenter le diable, et part en n’ayant repris même pas 100m, à 2500. Serge tout en m’annonçant que lui et Kim quittent le déco devenu impraticable, m’annonce qu’avec le nord, la conflu’ va se mettre en place, mais je comprends mal ce qu’il dit. De toutes façons, j’ai trop froid et il n’y a plus beaucoup de soleil, je vais me poser. Je crame encore 1000m de gaz en chien car le vent Nord-Ouest est sensible,pour me retrouver 100m au dessus du déco, ou je poserais, quasiment à la verticale, un peu décalé dans un grand champ pour éviter tout rouleau impromptu. Je plie mon aile sous de violentes rafales, bien content d’avoir pu me poser à temps, à quelques pas de la bagnole, en plus !
La beauté à couper le souffle de la faune et des paysages qui se sont ouverts à moi, le sentiment d’avoir pris les bonnes options pour faire un petit parcours sympa improvisé en plaine (que c’est bon de ne pas avoir à se demander si on est sous le vent ou non !), et le fait que tout se soit bien goupillé au niveau du timing, font que ce vol, sans aucune prétention en terme de cross, restera longtemps gravé dans ma mémoire ; il entre facilement dans le top 10 de mes vols préférés, et m’a aidé à reprendre confiance après une longue période de doute. Seuls regrets : les piles déchargées du GPS (donc pas de trace), l’appareil photo cassé quelques jours auparavant (donc pas de photos), et surtout ne pas avoir eu de partenaire en l’air pour partager ce petit vol magique.
Un grand merci à Serge pour m’avoir expliqué ce site (entre autres) et fait la récup lors des deux premières tentatives ; c’est grâce à lui que j’ai pu faire ce vol !
