Ce samedi 29 Avril est une bonne journée d'après les prévis. De toutes façons, ça se voit à l'agitation des pilotes et aux barbulles qui fleurissent sur les hauts sommets alentours.
Les Top pilotes du club ont loué un minivan pour se rendre au déco le plus élevé, Malga Campo (au dessus de Brentonico, en dessous du refuge de l'Altissimo) je fais partie de la navette avec une grosse impression d'imposture. Mais j'ai envie de crosser et j'espère pouvoir suivre ces papas canard de luxe. Dernièrement j'ai fait des vols un peu pourris par le vent du Nord en altitude et j'ai l'impression que mon endurance en l'air en a pris un sacré coup. Aujourd'hui le vent devrait nous laisser tranquille, j'espère emmagasiner un peu de capital confiance.
Dans la navette les langues se délient. Quel est le plan du jour??! Ils n'en parlent qu'à demi-mot comme si ça allait leur porter la poisse mais un même objectif ambitieux a mûri dans les esprits : faire le tour du lac de Garde par le Sud. Déjà tenté maintes fois, jamais réalisé. Moi je me dis qu’à mon humble niveau, déjà faire un A / R Brentonico-Caprino Veronesi ça serait déjà pas mal du tout mais on verra bien...
Installation sur le déco. Le vent est complètement travers et bien rafaleux, conditions de décollage idéales (hum hum) je sais déjà que je ne serais pas la première en l'air vu l'étape délicate du déco dans ces conditions.... Les pilotes mangent discutent boivent pissent se préparent paresseusement... Il faut dire que la manche à air qui se tord comme une damnée ne donne pas franchement envie de se presser. Et pourtant! La journée a déjà démarré : partout des barbulles qui bourgeonnent et se transforment en cumulus. Bientôt un bien joufflu coiffe l'Altissimo juste au dessus de nos têtes. Mais le vent fait des siennes et je ne me fais pas ma maligne. Et puis, tour à tour, un par un, les mâles s'éloignent pour une dernière vidange de la vessie et l'installation du penilex. Ça sent le départ. Je dois partir en quête d'une pissotiere à l'abri des regards. Pour moi ce sera mon dernier pipi. Le suivant sera une fois posée. Comme j'aimerais être un mec parfois ! Et puis je me dis qu'il faudrait que j'achète des couches, je me le dis à chaque fois. Sans franchir le pas.
Les conditions au déco se sont légèrement améliorées : de temps en temps, le cycle thermique laisse un instant de répit pour éviter le travers gauche qui nous agite. J'aide à installer les voiles, je voudrais déjà être en l'air sans passer par la case décollage. Comme avoir un gosse sans passer par l'accouchement. C'est juste un mauvais moment à passer. Les pilotes décollent les uns derrière les autres, faut que je m'active autour de ma propre voile. Le vent détruit systématiquement mes tentatives de mettre la voile en forme. Nous ne sommes plus que quatre sur le déco. Punaise ma voile était prégonflée et parfaite pour décoller et BIM une rafale de travers et ce n'est plus qu'un chiffon. Quelle chiotte. De trois nous passons à deux. J'attends un pseudo moment d'accalmie et monte la voile, bien sûr l'aile se tord et je ne parviens pas à redresser le truc. Je voudrais coucher la voile et recommencer de zéro mais j'ai l'aile en bord de fenêtre qui m'entraîne, je réalise que je peux repasser dessous et décoller de cette façon. Déco dégueulasse mais efficace. Brentonico n'est vraiment pas ma tasse de thé !
Une fois en l'air je m'enfonce dans la sellette = Game On! J'essaye de visualiser les pilotes, j'enroule avec Luca et Panda. Italo a déjà un thermique d'avance. Les autres sont trop haut et/ou déjà trop loin. Moi qui voulais suivre le petit train, et me laisser guider... C'est mort! Je dépasse l'Altissimo. Base du cum à 2700, il fait un froid de gueux. Je vole avec deux paires de gants, mais ils sont peu de choses comparés à l'ambiance glaciale qui règne sous le nuage. Il faisait zéro degré au déco : combien de degrés perdus depuis? certains de mes doigts sont à ce point gelés que j'ai l'impression qu'ils sont sans protection aucune, livrés à la morsure du froid. Étrange ce patchwork de zones que le sang a délaissées.
En l'air ça bouge mais c'est tout à fait acceptable. Vue sur le lac de Garde, ça fait 10 minutes que je suis en l'air mais rien que pour cette vue là, j'estime mon vol déjà gagné. Par contre j'ai perdu de vue Luca, Panda est resté bas, Italo et une autre voile sont déjà un thermique devant Malcesine. En avant Guingamp, je joue la voiture balai!! Direction le Sud et la rue de nuages gris qui balisent le trajet. J'ai toujours Italo et l'autre voile en ligne de mire. En se plaçant bien, on ne perd pas trop d'altitude et on peut cheminer le long des crêtes. Le paysage est grandiose. Le vert printemps, celui qui déborde de chlorophylle, côtoie le blanc immaculé de la neige tombée ces derniers jours. De l'autre côté, la paroi rocheuse semble tomber à pic dans le bleu du lac, lui-même surmonté de grosses montagnes majestueuses, toutes parées de leurs plus beaux cums ! Bonne journée !! C'est fumant! Je vole maintenant au-dessus de montagnes que je n'ai jamais survolées auparavant et je kiffe grave malgré le froid qui me broie les os. Le sang fait un retour remarqué dans les extrémités : ça fait un mal de chien punaise ! J'ai une petite pensée pour la douleur que provoque l'inflammation des sacro-iliaques et ça suffit à relativiser illico celle ressentie dans mes doigts.
Le cheminement ne marche pas trop mal mais enrouler un peu ne serait pas du luxe. Le prochain +1, je l'enroule! Ce qui est bien avec une journée comme aujourd'hui est que le +1 se transforme en +2 puis +3 et plus et tu enroules dans du beurre. Rien à voir avec les thermiques hachés par le vilain vent du Nord. Luxe, (presque) calme et volupté. J'ai alors le plaisir d'être rejointe par Luca. Le nuage pompe bien et je me retrouve à faire les oreilles pour éviter de finir dedans Luca n'enroule pas autant. Lui qui était dans mes traces tout ce temps, me dépasse par dessous. Elle vole bien cette Explorer ! Il est devant mais plus bas. Je suis derrière en contrôle, je préfère. On ne rejoindra jamais Italo et son Icepeak 6 de course mais on aperçoit des voiles qui enroulent au-dessus de Colonei. Mon premier objectif du jour !!
En radio je comprends qu'il y a ceux qui veulent tenter Le hold-up ça veut dire vol de plaine et changement de régime de vol et puis il y a ceux qui renoncent, moyennement inspirés et/ou transis par le froid. Je croise et salue Eric et sa magnifique Cure. Et moi, qu'est-ce que je fais ? Je rentre ou je continue ? J'enroule jusqu'au nuage pour réfléchir. Au moment où je me dis tiens ça, ça sera le dernier tour sinon je rentre dedans, je me rends compte que je suis effectivement en train de rentrer dedans. Pas de panique, oreilles accélérées et direction à la boussole, je sors du gris mouillé rapidement. J'aperçois des voiles en plaine, au soleil... Il fait tellement froid sous ces nuages gris que mon cerveau débranche le mode cross et enclenche le mode survie. On s'en fout du programme, on va au soleil!
Je dépasse Caprino Veronesi, sors de l'ombre du nuage et savoure les rayons qui viennent me chatouiller le bord d'attaque. Comme on est quand même pas venu ici pour se dorer les cellules, je visualise une petite grappe de voiles qui enroulent sous un cum en plaine. Ça y est les choses sérieuses commencent. Ce matin quand Manuel m'a demandé quel était mon objectif du jour je lui ai répondu en riant "aller le plus loin possible" et c'est ce que je décide. Je refuse catégoriquement de faire le retour sous les gros nuages gris du Monte Baldo.
Devant moi les mecs enroulent en plaine et rejoignent le nuage. Et moi dans tout ça ? Je ne croise pas l'ombre d'une ascendance et je traverse dégueulante sur degueulante mais la loi des fluides est claire : si ça descend, ça doit forcément monter derrière. Forcément... Je me trouve basse et les autres me paraissent sacrément haut. Je vise des hangars/usines comme déclencheurs de thermique, le fameux « thermique village »! Ça marche mieux dans le jeu « Parapente Poursuite » que pour moi aujourd'hui ! mon vario bipe quand je suis dans du -1,5 ah bah c'est pas gagné!! Je finis par enrouler un timide 0,2 qui me donne l'impression d'être le thermique du siècle. Un petit tour et puis s'en va. En fait deux. Deux tours et le thermique s'en est allé, je ratisse, je ratisse en me répétant les paroles d'Honorin "à 20 mètres sol, t'es encore en vol!" Punaise je vais finir là dans la plaine de Vérone !! J'ai le temps de repérer un atterro qui vu du ciel semble un atterrissage officiel : au milieu des vignes et des champs, une belle pelouse bien entretenue avec deux voiles étalées et des manches à air à foison qui m'indiquent la brise du lac.
Je pose, prends ma voile en bouchon et me dirige vers ce qui me semble l’aire de pliage. L à, un drôle de comité d’accueil m’y attend. Quatre mecs un poil énervés me font remarquer que ceci n’est pas (malgré les apparences) un atterrissage de parapente mais un terrain privé d’aéromodélisme. En effet, ils ont tous des gros n’avions sous le bras. Mais les manches à air ? et surtout les deux voiles que je suis sûre d’avoir vues étalées ?? des sacripants paramotoristes ! autrichiens !! qui eux aussi ont cru bon d’utiliser leur terrain privé de joujou aéronautique pour décoller. Je fais amende honorable, vue du ciel, ça m’avait tout l’air de l’aire d’atterrissage idéale. Quand les paramotoristes reviennent, ils se font eux aussi passer un savon. Comme je fais partie des mauvais garçons, on sympathise immédiatement. Ils sont passionnés de vol libre, voyagent pour voler. L’un d’eux m’explique qu’il fait également du parapente, du deltaplane, etc. « tout ce qui vole à part l’hélicoptère » me confie-t-il en riant. Ils me déposent à Caprino Veronesi. L’Aventure parapentistique s’est arrêtée un poil tôt pour moi aujourd’hui, j’ai manqué de lucidité au moment de mon arrivée sur Caprino et je ne me suis pas mise en mode plaine subito. "Pas grave !" comme dit Tommaso, on se construit à chaque vol ! Et puis je laisse ma radio allumée comme ça, je peux suivre en direct l’exploit de mes petits camarades, j’entends « Peschiera » j’entends « Brescia » j’entends « filo d’aria » et ils l’ont fait les gredins ! Ermanno, Manuel, Moreno et Italo ont réussi le hold-up du jour : le tour du Lac de Garde. Chapeau bas ! moi je m’en suis mis plein les mirettes avec un vol d’à peine 30 kilomètres, qu’est-ce que ce sera quand j’en ferai 70 de plus ?
l’Avenir nous le dira ! Un grand merci à Ermanno, Manuel, Andreas, Eric, Michele, Moreno, Giorgio, Italo, Panda, Luca pour votre état d’esprit, pour vos conseils, vos blagues et le plaisir de voler à vos côtés.
les traces du jour : xcontest, malga campo, 29 Avril 2017.