+ Le chant du vario +

Vols (parapente) => histoire => Discussion démarrée par: Triple Seven France le 02 Août 2016 - 15:39:23



Titre: Regarde les hommes... tomber.
Posté par: Triple Seven France le 02 Août 2016 - 15:39:23
Ce Lundi j'avais des choses à faire à Annecy et j'en ai profité pour traîner sur le site. Avec le flux de Nord annoncé marqué, j'avais plus envie d'observer durant mes créneaux libres que d'aller voir en l'air ce que ça donnait.
En milieu de matinée je monte donc à Planfait regarder les décollages et profiter de la vue. Il n'y a pas encore la foule, tant en ce qui concerne les parapentistes que les touristes. Le déco est très faiblement alimenté, un souffle de face de temps en temps, la plupart du temps vent nul, parfois au gré de l'ombre des nuages qui grossissent, ça passe de cul. On a souvent l'impression que tout le site va finir par se boucher. Les écoles sont là, avec leurs élèves et les biplaceurs commencent à emporter leurs passagers.
Les moniteurs connaissent leur affaire et placent bien leurs élèves dans ces conditions parfois pas faciles pour envoyer les élèves. Lesquels ont globalement une très bonne technique de décollage, les défauts à corriger sont mineurs. Un compétiteur de haut niveau est là, qui entame son cursus de BPJEPS et c'est amusant de le voir affairé à observer, étaler des voiles et démêler des suspentes. Ambiance tranquille de site, avec ses petites scènes ordinaires et ses badauds venus du monde entier, souvent pour accompagner des passagers quand même un peu inquiets ; j'aime bien.
Dans la fraîcheur et l'instabilité matinale, un moniteur envoie une de ses élèves en Anakis : elle prend le premier créneau thermique et est la première à faire du gain. Le moniteur lui soigne son placement, un coup au relief pour profiter du faible appui le temps du cycle, un coup devant pour thermiquer tout en douceur, au gré des zones d'ombre et des taches de soleil. Parfaitement conseillée, elle fait preuve d'une belle application et passera toute la matinée en l'air pendant que presque tous les autres élèves passent à travers ces faibles et aléatoires conditions. J'imagine que ça restera longtemps pour elle un fabuleux souvenir !

Après le casse-croûte retour pour deux heures à Planfouille. L'ambiance a changé et le soleil s'est finalement imposé. La bulle calme et protégée de ce matin dans ce petit secteur et qui vivait sur sa respiration propre a disparu. Le flux de Nord est bien là, il descend jusqu'au sol et devant, manifestement, ça n'avance pas des masses... Une Carrera, bien pilotée par quelqu'un qui démontre un style net et à l'attaque, passe dans un sens à la vitesse d'un piéton et dans l'autre sens à la vitesse d'un cycliste qui pédale en descente... Un gars vient de décoller une Cayenne5, certainement pour un essai, et passe déjà au-dessus du décollage. Premier passage, la Cayenne accordéone gentiment, deuxième passage, la Cayenne accordéone joyeusement... Peu après, la Carrera fait un énorme bruit de tissu à droite du décollage et repart en vol, apparemment à quelques mètres des arbres... La Cayenne s'écarte du relief, constate que oui oui, elle a bien tendance à scotcher face au Nord et fait les oreilles... qu'elle gardera un bon moment à se faire secouer sans trop descendre. Je ne vois pas trop ce qu'est devenue la Carrera.
Pendant ce temps sur le décollage même, c'est rien de trop terrible. Des rafales brassent parfois les arbres à gauche, le vent se trouve transitoirement redressé par les passages thermiques, la tendance générale est très perturbée. Deux personnes finissent de se préparer : une jeune fille en cocon, Delta2, tablette pour la navigation et un jeune homme en Fidès rouge et noire. Je commence à être dubitatif mais la jeunette me donnera tort : elle lève sa voile dans un bon moment, contrôle bien les fermetures qui s'ensuivent, accélère, se fait éjecter vers le haut dès la sortie du déco avec des mouvements aérologiques qui tordent son parapente dans tous les sens et elle démontrera un beau pilotage, ce qu'il faut rien de trop. Très vite elle se place judicieusement, se fait totalement arrêter dans les déclenchements mais enroule de manière imparable et rapidement disparait vers le plafond.
Reste le dernier candidat qui a voulu prendre le même créneau mais sa Fidès a cravaté dès le gonflage (préparation difficile dans les rafales ?) et il n'a pas pu partir. Heureusement (?) il se trouve bien des personnes pour l'assister, lui ré-étaler l'aile, le conforter. Deuxième tentative, la bouffe de face est un peu plus forte, la voile monte très vite, shoote, passe devant et lui se met à lui courir après aussi vite que possible, mais trop tard et elle frontalise alors qu'il est à pleine vitesse. Arrêt brutal, sur le cul à la cassure : j'ai mal pour son coccyx ! La même bande l'aide à remonter la pente, à étaler à nouveau, etc. Les conditions ne se calment pas et les rafales sont mêmes plus fortes sur ce déco désormais totalement sous le vent. Nouveau gonflage non maitrisé de la Fidès, shoot, tentative désespérée de tempo violente (trop tardive), éjection du pilote à deux mètres de haut, vilain écrasage sur l'airbag partiellement gonflé, au niveau des lombaires/hanche. Aïe ! Je crains "le pire", mais non le gars solide se relève, prêt à recommencer. Bon, je pense qu'il doit avoir quand même quelque douleur aujourd'hui vu qu'il a fait trembler la planète... Ça commence à suffire pour moi, mais la bande des "aides" va bon train pour lui donner des conseils sur son gonflage, la tempo, etc. Quatrième tentative dans très peu d'air, mais ce coup-ci la moitié de la voile tombe et empêche la course. Alors que les "little helpers" s'affairent et recommencent les conseils, je traverse le tapis pour aller voir le gars direct et lui conseiller de replier gentiment. C'est, m'a-t-il semblé, la parole qu'il attendait. Bon, désolé si j'ai un peu gâché l'ambiance...

Tout ça m'a fait penser alors que je redescendais en voiture, à ce gars que j'avais entendu raconter à la radio son installation dans le grand Nord. Il avait passé du temps à vivre chez des autochtones en Alaska, dans un village isolé. Il avait débarqué en été et il avait sa baraque à retaper pour la rendre vivable. Il se trimballait quotidiennement des quantités de matériaux et d'outils pour abattre le boulot nécessaire avant l'hiver. Chaque jour, il passait dans la rue du village en suant sang et eau devant des groupes de jeunes gens désœuvrés qui le regardaient et lui disaient à peine bonjour. Un jour il en a marre et va les voir en leur disant que puisqu'ils ne font rien ils pourraient l'aider plutôt que rester là à le regarder alors qu'il s'épuise et que la belle saison va se terminer. A quoi ils lui ont répondu : " Nous on n'a rien contre le fait de t'aider, mais tu sais ici, lorsque vient l'hiver chacun ne peut plus compter que sur lui-même lors des moments cruciaux pour assurer sa survie. Alors si on t'aide maintenant, on ne pourra en tout cas pas le faire lorsque ça ira mal cet hiver. Donc si tu dois échouer, il vaut mieux que ce soit maintenant quand il fait beau et que tu peux encore repartir chez toi. On ne va pas t'aider pour t'emmener dans un enfer que tu n'es pas en mesure d'affronter."

Moi c'est un peu pareil : je ne crois pas que ce soit vraiment "aidant" de faire la courte échelle à quelqu'un pour qu'il puisse sortir de la tranchée afin de le regarder se faire hacher par les mitrailleuses ou sauter sur une mine.


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: goofy le 02 Août 2016 - 19:17:40
 :pouce: Pas mieux, si tu n'est pas capable de décoller seul alors...


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: Pascoq le 02 Août 2016 - 19:29:26


Tout ça m'a fait penser alors que je redescendais en voiture, à ce gars que j'avais entendu raconter à la radio son installation dans le grand Nord. Il avait passé du temps à vivre chez des autochtones en Alaska, dans un village isolé. Il avait débarqué en été et il avait sa baraque à retaper pour la rendre vivable. Il se trimballait quotidiennement des quantités de matériaux et d'outils pour abattre le boulot nécessaire avant l'hiver. Chaque jour, il passait dans la rue du village en suant sang et eau devant des groupes de jeunes gens désœuvrés qui le regardaient et lui disaient à peine bonjour. Un jour il en a marre et va les voir en leur disant que puisqu'ils ne font rien ils pourraient l'aider plutôt que rester là à le regarder alors qu'il s'épuise et que la belle saison va se terminer. A quoi ils lui ont répondu : " Nous on n'a rien contre le fait de t'aider, mais tu sais ici, lorsque vient l'hiver chacun ne peut plus compter que sur lui-même lors des moments cruciaux pour assurer sa survie. Alors si on t'aide maintenant, on ne pourra en tout cas pas le faire lorsque ça ira mal cet hiver. Donc si tu dois échouer, il vaut mieux que ce soit maintenant quand il fait beau et que tu peux encore repartir chez toi. On ne va pas t'aider pour t'emmener dans un enfer que tu n'es pas en mesure d'affronter."


Viii! je l'ai entendu aussi sur FI, un peu brut, mais c'est à "méditer" ou tout au moins a alimenter une petite réflexion...
J'aime bien lire les posts de triple seven, jamais  négatifs, toujours constructifs, je dis ça pour ceux qui arriveraient sur le forum : tout à prendre, rien à laisser, bon, maintenant que je t'ai encensé, ne te mets pas à raconter des conneries non plus hein???


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: Livingston le 03 Août 2016 - 08:43:56
 :pouce: merci pour ce récit Vincent


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: messages non lus le 03 Août 2016 - 08:56:11
il y a des talents insuffisamment exploités ;)
 karma+


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: deuchiste le 03 Août 2016 - 10:23:41
 karma+  pour le récit et l'esprit.


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: Agnès le 08 Juillet 2017 - 09:51:26
 karma+ pour le récit

 :fume: pour ces tristes vérités


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: Parapente Samoens le 08 Juillet 2017 - 10:12:06
Scène de la vie quotidienne sur tous les sites fréquentés. Si le niveau moyen augmente, on constate un manque flagrant d'analyse chez de trop nombreux pilotes. Arriver sur un décollage et voir des voiles en l'air est souvent le seul indice utilisé avant de décoller, c'est largement insuffisant !

L'amélioration de la formation des pilotes 'autonomes' est une priorité au vu de l'accidentologie dont ils sont les premières victimes. Mais il est difficile de toucher un public aussi 'volatile'.  ;)


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: M@tthieu le 09 Juillet 2017 - 19:04:54
Joli récit de la vie quotidienne d'un déco. :pouce: finalement les filles sont plus bluffantes puisqu'il n'y a que les hommes qui tombent :sors:


Titre: Re : Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: wism3rhill le 09 Juillet 2017 - 19:47:03
Superbe récit, et tellement réel...



Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: JustinBieber le 09 Juillet 2017 - 20:25:48
Oui j'aime bien le récit aussi, super bien écrit.
C'est fou de voir des gens vouloir absolument voler à tout prix.
Planfait... Sous le vent, du nord, si on arrive à décoller sans trop de mal et à sortir un peu, ET APRES???


Titre: Re : Regarde les hommes... tomber.
Posté par: stephb24 le 10 Juillet 2017 - 12:36:58
dans les grandes lignes, je suis d'accord, sur le fait qu'aider un pilote est souvent de lui dire de rester au sol.
ceci dit, il est des déco, pour lesquels, dés que le vent devient suffisant pour espérer tenir, la morphologie du site est telle que sans une excellente technique tu ne peut pas te mettre en l'air alors que 10m au dessus du déco c'est du laminaire version mer de coton.
a ce niveau la pas sur que de conseiller de retourner sur la pente école soit la meilleur,
mais plutôt aider le pilote a comprendre ce qui sur le site met sa voile en vrac et lui aider a mieux connaitre les contrainte du site par l'expérience.